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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Salvador Allende

On connaît peu l’oeuvre médicale du président chilien Allende. Pourtant sa conception de l’hygiène mentale liée aux théories eugénistes a fait débat.Portrait de Salvador Allende sur un timbre de la République Démocratique Allemande, “Venceremos / Solidarität mit dem Volk Chiles”, vers 1973.    On connaît peu l’œuvre médicale du président chilien Allende. Pourtant sa conception de l’hygiène mentale liée aux théories eugénistes a fait débat.

 

   Salvador Allende Gossens (1903-1973), a été élu Président de la République du Chili en novembre 1970, devenant ainsi le premier socialiste à obtenir ce poste par des moyens démocratiques. Sa figure a acquis une importance historique après sa mort dans le contexte du coup d'État, soutenu par la CIA, qui l'a renversé en 1973. Cependant, jusqu'à récemment, peu d'attention avait été accordée à sa formation et à sa pratique médicales, qui étaient en phase avec le thème moderne de l'hygiène mentale.

 

   En effet, c'est sur la base de son expérience dans la section carcérale de la Casa de Orates - l'une des principales institutions locales d'internement psychiatrique - qu'il a rédigé sa thèse de doctorat en médecine. Intitulé Hygiène mentale et délinquance, le travail d’Allende expose des idées et des propositions explicitement inspirées du mouvement d'hygiène mentale initié au début du XXe siècle par Clifford Beers et Adolf Meyer aux États-Unis, qui a commencé à se diffuser dans le monde entier dans les années 1920. Allende a cherché à articuler son projet avec les activités de la Société chilienne d'hygiène mentale, fondée en décembre 1931, qui visait à étudier les causes sociales des maladies mentales et dont le président, Hugo Lea Plaza, était membre du jury de sa thèse.

 

   Dans ce sens, fortement inspiré par le criminologue Louis Vervaeck, fondateur de la Ligue Nationale Belge d'Hygiène Mentale, il s’est focalisé sur trois facteurs étiologiques du crime : l'hérédité, l'individu et l'environnement. Dans le premier cas, il s'est référé à diverses études internationales qui ont montré la pertinence de l'ascendance familiale et a étudié les facteurs de base de “l'hérédité anormale” : alcoolisme, tuberculose, maladies vénériennes et usage de stupéfiants. En ce qui concerne la question de l'individu, bien qu'il ait mentionné des sujets tels que l'âge, le sexe et l'état civil, il s'est surtout intéressé au tempérament, s'inspirant en cela des idées du psychiatre allemand Ernst Kretschmer et de l’endocrinologue italien Nicola Pende, reprenant de ce dernier le rôle de la fonction endocrinienne dans la genèse des crimes. Il a toutefois exclu la possibilité d’une explication monocausale de la criminalité et s'est finalement penché sur le rôle de l'environnement. S'il mentionne à ce titre la thèse de Césare Lombroso sur la question raciale, il en souligne le "caractère exclusif et incomplet"; reconnaissant néanmoins que celle-ci ouvre la porte à des orientations ultérieures qui corrigent ses erreurs. Il traite, en ce sens, plus en détail les facteurs sociaux du crime, notamment les conditions économiques, en mentionnant l'effet pernicieux des inégalités et de l'injustice.

 

   Au demeurant, ses travaux ne se résument pas à leurs seuls apports théoriques. Prenant pour fondement les idées du criminologue argentin José Ingenieros et celles de Louis Vervaeck, auxquelles il ajoute certains principes établis lors du Congrès de médecine légale et de criminologie de Prague de 1930, Allende définit une nouvelle organisation scientifique des établissements pénitentiaires. Il propose que l'enfermement des criminels suive une classification scientifique, que le personnel administratif reçoive une formation spécifique pour remplir sa fonction dans la structure pénitentiaire et enfin, à l'instar de la Belgique, que soient créés des départements d'anthropologie criminelle et des laboratoires psychiatriques.

 

   Après avoir obtenu son diplôme, Allende s'est tourné vers l'activité politique, à laquelle il s'était déjà intéressé pendant ses années universitaires. Participant à l'unification du parti socialiste, il est élu député en 1937 et promeut activement la promulgation de lois médico-sociales. Un an plus tard, Allende est nommé Ministre de la santé et du bien-être social et rédige très rapidement un rapport intitulé La realidad médico-social chilena.  Il y aborde certains sujets qui font l'objet de débats dans le domaine médical ces années-là et qui serviront de base à une série d'interventions publiques qu'il propose de mettre en œuvre. Parmi les grandes lignes d’un programme de médecine préventive et sociale figure une série de mesures eugéniques, dont la stérilisation des personnes aliénées. Des personnalités liées au mouvement de l'hygiène mentale au Chili, telles que Juan Garafulic, Luis Cubillos et Gustavo Vila, ont participé à la rédaction du projet d'application et aux discussions ultérieures lors des réunions de la Société de neurologie, psychiatrie et médecine légale (1939) et du deuxième congrès latino-américain de criminologie (1941). Cependant, le projet a finalement été écarté et n'a jamais été repris.

 

   Bien que la carrière ultérieure d'Allende ait été clairement liée à l'activité politique - en tant que sénateur (1945-1970) et, finalement, Président de la République -, dans ses projets législatifs et dans ses discours, il a continué à montrer sa préoccupation pour les problèmes médico-sociaux qui ont marqué l'agenda de l'hygiène mentale et, plus tard, de la santé mentale dans le monde occidental.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Panoptique - Carrillo Ramon

Hernán Scholten (Universidad Favaloro - Buenos Aires, Argentine) et Gonzalo Salas (Universidad Católica del Maule - Talca, Chili)

Références :

Salvador Allende, Higiene Mental y delincuencia. Tesis para optar al título de médico cirujano, Ediciones Chile América CESOC, 2005. 

Marcelo Sánchez Delgado, “Salvador Allende, esterilización de alienados y debate eugénico chileno”, Izquierdas, 2017, N°35, pp. 260-286.

Pour citer cet article : Hernán Scholten, Gonzalo Salas, "Salvador Allende", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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