Bureau des constatations médicales de Lourdes, vers 1920. Carte postale, coll. perso.
Le 25 juillet 1894, Émile Zola publie Lourdes, ouvrage à charge aboutissant à une polémique importante sur le pèlerinage et ses institutions. Avec ce premier roman de la trilogie Les trois villes, Zola offre un récit où il critique les vices et les escroqueries qui règnent selon lui à Lourdes. Mis à l’Index par les catholiques romains, Lourdes révèle les passions et les enjeux politiques qui animent la France en cette fin du XIXe siècle : la lutte pour la laïcité et le questionnement autour de l'existence de la médecine. Si le livre de Zola est un réquisitoire contre le pèlerinage, la volonté de déterminer ce qui relève de l’escroquerie ou au contraire de l’inexpliqué ne naît pas avec l’auteur de J’accuse. Dès 1883, un Bureau des constatations médicales est mis en place à Lourdes. Son rôle est de contrôler la véracité des guérisons et d’expliquer le cas échéant quelles en sont les causes. Il naît vingt-six ans après que Bernadette Soubirous ait assuré avoir vu la Vierge et après plusieurs années où la vérification des miracles se fait sans réelle institution. Le Bureau des constatations médicales répond donc à la volonté de mettre en place une instance médicale permanente qui détermine ce qui relève de la médecine ou, à l’inverse, de l’inexpliqué. Il est mis en place par le docteur Dunot de Saint-Maclou et est constitué de médecins, aussi bien croyants que non croyants, et d’un président qui est nommé par l’évêque de Tarbes. Ainsi, depuis 1883 les cas de guérisons à Lourdes sont listés, étudiés et vérifiés par ce bureau.
La mise en place d’une telle institution montre la médicalisation croissante de la société au cours du XIXe siècle. Cette médicalisation touche également le religieux, puisque l’Église cherche une légitimité “scientifique” auprès des médecins. Toute personne se déclarant guérie après son pèlerinage peut se présenter au bureau afin de faire constater sa guérison. Cette institution ne vise pas à déclarer si oui ou non la guérison est miraculeuse, son objectif est d’établir la réalité de la guérison et de montrer l'éventuel caractère extraordinaire de cette dernière. Les médecins du bureau examinent à plusieurs reprises les patients, ils les interrogent sur les soins qu’ils suivent et vérifient que la guérison dure dans le temps. Le fonctionnement du Bureau des constatations médicales est principalement assuré par les médecins de la société Saint-Luc, une société médicale créée en 1884 par des médecins catholiques. Leurs enquêtes semblent minutieuses et la création du bureau fait chuter le nombre de guérisons reconnues, qui passe de 143 en 1883 à 83 en 1884. Il y a là un véritable processus de rationalisation du miracle mais de façon moins “scientifique”, le bureau tente surtout d’encadrer le phénomène marial afin d’éviter les abus et les débordements de foi qui mineraient l’autorité des prélats.
Si la volonté du sanctuaire et des autorités religieuses de rationaliser les guérisons inexpliquées est réelle, la manœuvre sous-jacente de légitimation du divin par la science n’échappe pas aux contemporains. Ainsi, le bureau fait face à de nombreuses critiques de la part de médecins et des politiques et la réalité des guérisons extraordinaires constatées est vivement mise en cause. Les oppositions atteignent leur apogée au tout début du XXe siècle, quand des médecins sont animateurs de campagnes contre Lourdes et critiquent l’inefficacité des pèlerinages. Ils soulignent le fait que la volonté de rationalisation des guérisons par le Bureau des constatations médicales vient conforter les patients dans leur désir de se rendre à Lourdes plutôt que d’être soignés par la médecine conventionnelle. Devant ces attaques, les médecins catholiques de Lourdes tentent de répondre en se mettant en scène dans des photographies afin de montrer les procédures de vérification. Ils renforcent leurs règles procédurales pour la proclamation des guérisons miraculeuses entre 1905 et 1914. Si le bureau obtient le soutien du pape en 1904, les autorités politiques et médicales restent cependant circonspectes ou hostiles face à ces guérisons dites miraculeuses et l’influence que ces événements pourraient avoir.
Le Bureau des constatations médicales continue d'œuvrer à la vérification des guérisons miraculeuses, il a été renommé en 1946 Bureau médical de Lourdes. Il est rejoint par le Comité médical international de Lourdes en 1947 qui vise à revérifier les guérisons déclarées comme véridiques par le Bureau médical. Les représentants du bureau tentent aujourd’hui de prouver que cette institution est un observatoire médical privilégié concernant les maladies rares et les guérisons soudaines. Lourdes et ses guérisons furent un des champs de bataille où les protagonistes nés du siècle des révolutions se sont opposés, à ce moment de l’histoire de France où il fallait « expulser Dieu » des écoles, des prétoires et des hôpitaux. Il ne reste rien dans l’espace public de ces luttes, mais le sanctuaire reste aujourd’hui un des principaux pèlerinages du monde.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Débredinoire - Spiritisme -Guérisseurs
Références :
Hervé GUILLEMAIN, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses, Éditions la Découverte, 2006.
Yves CHIRON , Enquête sur les miracles de Lourdes, Perrin, 2000.
Pour citer cet article : Lou LEVRARD, "Bureau des constatations médicales de Lourdes" dans Hervé GUILLEMAIN (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.