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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Cancer du col de l'utérus

Le cancer du col de l’utérus a été la cible de campagnes de santé publique à partir des années 1910-1920 et a été un des premiers cancers à être dépisté massivement.Cancer In Its Early Stages is Curable Poster. G. Terry Sharrer, Ph.d. National Museum Of American History.

Le cancer du col de l’utérus a été la cible de campagnes de santé publique à partir des années 1910-1920 et a été un des premiers cancers à être dépisté massivement.

 

   Au XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, le cancer est considéré comme une maladie féminine. En effet, les cancers féminins de l’utérus et des seins présentent des symptômes plus facilement détectables que ceux des organes internes et surtout les corps des femmes, et plus particulièrement leurs organes reproducteurs, ont connu une médicalisation plus précoce et plus importante que ceux des hommes. Les corps féminins ayant été construits comme plus vulnérables que les corps masculins, l’utérus - la matrice -, est au cœur des préoccupations des États et du corps médical aux XVIIIe et XIXe siècles.

 

   Dans les discours médicaux du XIXe siècle, le cancer de l’utérus est associé à la débauche et à la sexualité débridée de certaines femmes. Il peut être aussi expliqué par les grossesses multiples, les accouchements traumatiques ou les avortements répétés. Dans les deux cas, ce sont les femmes des milieux populaires qui sont principalement visées par ces discours moralisateurs.

 

   La réinvention du spéculum au début du XIXe siècle, qui rend accessible à la vue le col de l’utérus, conduit à un interventionnisme chirurgical  cruel et inutile avec la réalisation de nombreuses amputations de cols de l’utérus souvent douloureuses et mortelles réalisées par quelques chirurgiens dans les années 1820-1830. Ces chirurgies sont rapidement abandonnées au profit de pratiques plus conservatrices (cautérisations et curetages) et palliatives d’autant que le cancer était considéré comme une maladie systémique et les possibilités de traitements étaient limitées. Avec le développement de l’histologie à la fin du XIXe siècle, c’est la théorie localiste du cancer qui prévaut. L’asepsie et l’anesthésie contribuent au retour de l’option chirurgicale et l’hystérectomie devient le traitement de choix. Des féministes britanniques protestent contre ces interventions chirurgicales mutilantes aux taux de mortalité élevés.

 

   Les cancers gynécologiques sont au centre des politiques de lutte contre le cancer. Dès les années 1910-1920, se développent aux États-Unis, puis en Europe, des campagnes ciblées contre le cancer du col de l’utérus. Elles encouragent les femmes à consulter dès les premiers symptômes avec la diffusion d’un message d’espoir dans la « guerre contre le cancer » avec pour slogan : « le cancer est curable pris à ses débuts ».

 

   Le développement  dans les années 1920 de la radiothérapie pour le traitement des tumeurs constitue une alternative aux mutilations chirurgicales gynécologiques. Des femmes médecins comme Simone Laborde, en France, ou Helen Chambers, en Grande Bretagne, contribuent au développement de la radiothérapie, une spécialité encore marginale qui leur est plus facilement accessible en tant que femmes. En Grande-Bretagne, des femmes médecins membres de la Medical Women Federation  fondent en 1929 le Marie Curie Hospital, dont l’équipe est constituée uniquement de femmes médecins et spécialisées dans la radiothérapie des cancers gynécologiques. 

 

   L’introduction de la colposcopie en Allemagne en 1925 puis le développement du test Papanicolaou ou frottis cervical dans les années 1940 aux États-Unis permettent de détecter le cancer du col de l’utérus dans son stade le plus précoce bien avant l’apparition des symptômes. Les femmes même asymptomatiques sont désormais invitées à se faire dépister régulièrement. Ces campagnes de dépistage diffusées dans les années 1960 adoptent un modèle de prévention individuel et biomédical où le fait d’être une femme devient un facteur de risque.

 

   Ce modèle de prévention basé sur la médicalisation du risque existe toujours au XXIe siècle. Les campagnes de dépistage du cancer du col de l’utérus se focalisent désormais sur l’origine virale de ce cancer, sur une approche individuelle de dépistage et de vaccination. Elles ne prennent pas suffisamment en compte les autres facteurs de risque comme les facteurs sociaux et environnementaux. 

 

   Aujourd’hui, le cancer du col de l’utérus a une faible prévalence dans les pays développés et cette diminution de la prévalence est observée dès la deuxième moitié du XXe siècle, bien avant le dépistage généralisé des femmes. En outre, ce modèle de dépistage présente des insuffisances puisque les femmes les plus précaires, qui sont les plus à risque, se font le moins dépister.

 

   Il faut attendre les années 1950 pour voir apparaître des campagnes sur les cancers qui touchent davantage les hommes comme celles qui ciblent le cancer des poumons. Les campagnes de dépistage du cancer du col de l’utérus et du sein donnent toujours une plus grande visibilité aux cancers féminins, ce qui fait dire à Ilana Löwy que le cancer reste toujours une pathologie genrée au XXIe siècle.



Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Speculum - Fauteuil gynécologique

Ikrame Moucharik - Master études sur le genre - Université d'Angers

Références : 

Löwy, Ilana. « Le genre du cancer », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 37 (2013). http://journals.openedition.org/clio/10986

Carol, Anne. « Une sanglante audace: les amputations du col de l’utérus au début du XIXe siècle en France », Gesnerus, 65, 3-4 (2008): 176-195.


Pour citer cet article : Ikrame Moucharik, "Cancer du col de l’utérus", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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