« Tuez le cancer ! avant qu’il ne vous tue… », Affiche de la Ligue Française contre le cancer, 1930.
Le XIXe siècle est marqué par des avancées scientifiques dans divers domaines, comme la découverte des rayons X par Roentgen (1885) ou du radium par Pierre et Marie Curie (1898). Les premières études scientifiques de Bichat et l’usage du microscope accompagnent une nouvelle prise en charge du cancer. Cette pathologie se caractérise par la présence d’une ou plusieurs tumeurs, qui se sont développées suite à une mutation ou instabilité génétique d'une cellule. Sa représentation depuis l’Antiquité est animalisée en l’assimilant à un crabe rongeant ses victimes en les faisant souffrir de l’intérieur. La pratique dominante invasive de l’ablation pour traiter les tumeurs cancéreuses recule avec ces progrès scientifiques.
La fin de la Première Guerre mondiale renforce la peur qui se diffuse au sein de la société en raison de l’augmentation des malades cancéreux. Le cancer devient un danger pour la société, poussant les pouvoirs publics à intervenir. Il constitue un fléau social, comme latuberculose et l’alcoolisme, se définissant comme des maux devenus des menaces pour les populations mondiales. Les soldats de la Première Guerre mondiale sont exposés à diverses substances comme le gaz moutarde, augmentant les risques de cancer du poumon. Cette “Grande guerre” impose une nouvelle organisation du système de santé, devenu un enjeu sociétal, à l’image de la création du ministère de la santé. En 1917, sous l’impulsion de Justin Godart, sous-secrétaire d’État au Service de Santé Militaire, des services spécialisés sont créés pour les cancéreux des armées à Paris, Lyon et Montpellier. Une lutte systématique contre le cancer est initiée par S. Fabre (assistante au service de curiethérapie) et organisée avec le Dr. Hartmann de l’Hôtel Dieu à Paris. Depuis 1905, la curiethérapie est pratiquée, utilisant les sources radioactives directement sur la zone cancéreuse.
Dans ce contexte sanitaire et politique, le 14 mars 1918, J. Godart crée la Ligue franco-anglo-américaine contre le cancer, dont il devient le premier président et quitte sa fonction de sous-secrétaire d'État. Cette ligue permet d’affirmer la puissance des Alliés désormais dans le domaine de la santé. Une majorité des membres sont déjà présents dans l’Association Française d’Étude du Cancer, rassemblant médecins et chirurgiens en 1908. Les objectifs identiques des deux organisations conduisent à une répartition, la partie scientifique pour l’Association Française d'Étude du Cancer et les actions politiques et sociales pour la Ligue.
Les modes d’intervention de la ligue dans la première partie du XXe siècle se diversifient avec des relais comme les “dames de la Ligue”, s'inspirant des infirmières visiteuses de la lutte antituberculeuse. Elles aident financièrement et matériellement les malades et les familles, mais aussi les médecins en établissant des fiches de suivi des patients. Certaines femmes sont peu à peu formées puis rémunérées, mais la grande majorité sont des bénévoles aisées. De manière générale, les femmes sont plus présentes dans les œuvres caritatives, faisant partie intégrante de la vie mondaine.
Le 31 mai 1922, la lutte contre le cancer devient une politique de l’État, avec une commission du cancer pour coordonner les travaux auprès du ministère de l’Hygiène, de l’assistance et de la Prévoyance Sociale, reprenant les intentions de la ligue. Après être reconnu d'utilité publique (1920), dès 1923, des comités départementaux se développent pour élargir la prise en charge des patients avec des nouvelles associations en région financées et équipées par la ligue. Ils sont implantés selon des logiques politiques des départements et reconnus en 1957 par la Direction générale de la santé.
En 1927, le cancer devient une lutte nationale avec la fin de l’alliance franco-anglo-américaine. En France, la mobilisation se poursuit sous un nouveau nom : la Ligue française contre le cancer. Néanmoins, la coopération internationale perdure avec la création la même année de l’index analyticus cancerologiae, regroupant l'ensemble des travaux mondiaux sur le cancer. La fondation américaine philanthropique Rockefeller, connue en France pour ses campagnes de lutte contre la tuberculose (1917-1924), participe à la création des premiers centres anti-cancers. Ses moyens d’actions et de sensibilisation sont repris par la Ligue. La première semaine de défense contre le cancer est organisée en France du 23 au 30 juin 1930, sous le patronage de Désiré Ferry, ministre de la santé publique. La ligue est aujourd’hui connue sous le nom de Ligue Nationale contre le cancer.
Durant l’entre-deux-guerres, la ligue constitue un nouvel acteur central pour la lutte contre le cancer, imposant l’intervention de l'État et se mobilisant auprès de la population tout en pérennisant ses actions, encore utilisées aujourd’hui.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Fondation Rockefeller - Lobby
Références :
Pierre Darmon, "Le cancer : prise de conscience collective et genèse d’une grande peur", Histoire économique et société, vol. 5, n°4, 1986, p.591- 609.
Coline Loison, “Tuez le cancer ! Avant qu’il ne vous tue …”, La politique de lutte contre le cancer dans l’Ouest de la France (1920-1960), thèse d’histoire sous la direction de Nathalie Richard, co-dirigée par Hervé Guillemain, Université de Bretagne Loire, 2018.
Pour citer cet article : Maxime Bruant, "Ligue contre le cancer", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.