Illustration d'un jeune homme, de face et de dos, ayant subi une opération de rétrécissement de la poitrine. Revue Paris médical : la semaine du clinicien, 1926, n° 61, partie médicale.
Selon les statistiques annuelles publiées par le ministère de la justice, jusqu’à la nouvelle loi de 1994, une soixantaine d’affaires de castrations criminelles sont enregistrées, soit une affaire par an en moyenne, et quatre-vingt accusés sont jugés pour ces faits devant les cours d’assises. En effet, le Code pénal de 1791 prévoit la peine capitale à l’égard du crime de castration, et selon la loi de 1810, celui-ci est puni des travaux forcés à perpétuité ainsi que passible de la peine de mort si la victime succombe à la castration dans les quarante jours.
Cependant les législateurs ne définissent le crime dans aucune des deux lois, mais prévoient deux motifs de castration dans leurs travaux préparatoires : l’opération pratiquée sur les castrats italiens et la vengeance passionnelle. Alors que la première opération consiste en l’ablation des testicules, la Cour de cassation redéfinit, par un arrêt du 1er septembre 1814, le crime de castration comme toute atteinte aux organes génitaux nécessaire à la reproduction.
Au temps de la reconstruction de la société postrévolutionnaire et des guerres extérieures, les autorités sont soucieuses de « régénérer » la France tant par la fécondité que par la force militaire. La Réquisition de 1793 et la loi Jourdan-Delbrel de 1798, fruits d’une politique « militaro-virile » ont ainsi pour enjeu de rassembler tous les jeunes hommes en bonne condition physique aptes à s’engager. Les qualités exigées des soldats sont celles du mâle idéal déjà décrites par les Lumières : le corps solide et carré sans graisse, les muscles fermes, le contrôle des émotions. Les discours morphologiques et naturalistes se fondent avant tout sur le principe de la binarité de genre tendant à inférioriser le corps féminin. Les signes « virils » sont mis en contraste avec les caractères « féminins » liés à la fragilité, à la mollesse ainsi qu’à l’hystérie. Surtout, les organes génitaux sont les signes déterminants de cette distinction des sexes. Dans cette vision binaire, le corps castré transgresse la loi dite naturelle du fait de la confusion entre mâle et femelle. Punir la castration, un acte assimilé à l’action d’affaiblir un homme, ou bien de l’efféminer, c’est donc préserver la société de l'infirmité corporelle et de l’anomalie morale. Les médecins donnent donc raison aux législateurs par le biais des discours « scientifiques ».
Il faut cependant noter qu’à l’origine, les médecins et les chirurgiens veulent réprimer la castration en particulier pour protéger, face à la concurrence professionnelle, leur propre intérêt dans l’exercice du métier. En effet, depuis l’Antiquité, la castration était fréquemment pratiquée pour guérir la hernie inguinale dont la cause était attribuée à la rupture du péritoine. De fait, plusieurs grands médecins (Celse, Paul d’Égine, Guy de Chauliac…), dont les traités ont longtemps servi de manuels d’enseignement de médecine, proposaient effectivement la castration dans les cas impératifs.
Cette dernière pratique tend toutefois à être bannie dès la seconde moitié du XVIIe siècle. Le Statut royal de 1699 interdit l’incision pour le traitement des hernies et n’autorise désormais que les bandages. Au XVIIIe siècle, les tribunaux de Reims poursuivent deux individus non chirurgiens (1710 et 1735) pour avoir coupé les testicules sous prétexte de prévenir la hernie inguinale. Outre l'intervention de la justice, deux nouvelles tendances dans la chirurgie semblent déterminer l’abandon de la castration au sein des élites médicales. D’un côté, l’essor des études anatomiques et de la médecine clinique renouvelle le savoir médical. De l’autre, l’Académie royale de chirurgie (1732) et la Société royale de médecine (1778) condamnent toute opération « sanglante » et « routinière » dénuée de théories. Ils appuient leurs arguments sur la défense de la santé publique et réduisent ceux qui pratiquent la castration au rang des « empiriques » ou des praticiens « ignorants ». En 1777, trois médecins, pour qui la fréquence des castrations est un véritable fléau à Beauvais, dénonce cinq opérateurs dont deux semblent être qualifiés de chirurgiens et adressent à la Société de médecine une liste des enfants rendus « absolument inhabilités à remplir le vœu de la nature pour la reproduction de l’espèce ». À la suite de ce rapport, Viqc d’Azyr sollicite les autorités pour l’instauration d’une peine plus systématisée et plus grave contre « ceux qui attentent à la vie des citoyens ».
La poursuite des castrateurs illégaux se déroule-t-elle de manière attendue ? En réalité, ils demeurent relativement absents des sources criminelles, la plupart des affaires de castrations étant perpétrées dans le contexte des vengeances interpersonnelles. Clandestine et difficile à saisir, la castration « herniaire » n’est aussi que rarement portée devant la justice et reste ainsi moins visible dans les dossiers criminels. Cependant, il ne faut pas conclure que ces pratiques disparaissent ou sont tolérées, car certains praticiens sont effectivement poursuivis pour le délit d’exercice illégal de la médecine.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Secte Skoptzy - Société Royale de Médecine
Références :
Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, vol. 2, Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle, Paris, Seuil, 2011, 512 p.
Nahema Hanafi, « Les sciences médicales et la naturalisation de l'hétéronormativité au siècle des Lumières », dans Maurice Daumas et Nadia Mékouar-Hertzberg (dir.), Les institutions culturelles à l'épreuve du genre, Pau, Presses Universitaires de Pau, 2021, p. 41-p. 60.
Pour citer cet article : Ami Nagai, « Castration criminelle », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.