Des patients souffrant de fractures se confient aux soins de chirurgiens. Paris, BnF, Français 396, Gui de Chauliac, Chirurgia, traduction anonyme, XVe siècle, f. 80v, © BnF.
Au Moyen Âge, l’activité du chirurgien correspond à l’une des trois parties de l’art médical, divisé en diététique, pharmacopée et chirurgie. Les chirurgiens lettrés du XIIIe siècle se sont efforcés d’unir sa dimension manuelle à une base théorique solide. Précisant les procédures à suivre et privilégiant les raisonnements rationnels, ils ont créé une science chirurgicale. Parallèlement, leur domaine de compétence s’est étendu : il ne se limite plus au soin des plaies, des fractures et des luxations, mais intègre le traitement des maux perçus comme l’expression externe d’un déséquilibre interne (abcès, affections de la peau), des hernies, des calculs ou de l’hydropisie.
C’est en Italie du Nord qu’est née cette « chirurgie rationnelle » étudiée par Michael R. McVaugh, qui n’est pas seulement mécanique et fondée sur des savoirs transmis oralement, mais universitaire et appuyée sur l’écriture savante. La Chirurgia (1268, 1275) de Guillaume de Salicet et la Chirurgia magna (1296) de Lanfranc de Milan ont contribué à la diffuser. L’idée d’un retard de la chirurgie française par rapport aux studia italiens a été nuancée par Danielle Jacquart. Dans sa Chirurgie (débutée en 1306), Henri de Mondeville, qui souhaitait le triomphe de cette chirurgie à Paris, démontre aux médecins qu’il est noble de traiter manuellement les maladies et incite les chirurgiens à acquérir les principes de la théorie médicale ; l’historienne a aussi souligné l’intérêt parisien pour les dissections chirurgicales et l’anatomie aux XIVe et XVe siècles. Ces chirurgiens instruits, qui restent l’exception, coexistent avec une grande variété de praticiens comme les chirurgiens manuels non-lettrés, leurs voisins barbiers, plus nombreux, et les opérateurs qui leur font concurrence.
Progressivement, les groupes se structurent, comme la confrérie de Saint-Côme à Paris, reconnue en 1360, ou le Fellowship des chirurgiens de Londres, dont le règlement date de 1435. D’un royaume à l’autre, les différences sont marquées. En Angleterre, Faye Getz a montré les circulations de la médecine à la chirurgie. Sur le continent, les catégories de médecin, chirurgien et barbier sont moins perméables ; ainsi, au XVe siècle, les chirurgiens parisiens défendent l’emploi du latin dans l’enseignement de l’anatomie pour se distinguer des barbiers. La formation connaît d’autres nuances. À Paris, à partir de 1311, le chirurgien juré du roi au Châtelet convoque les jurés pour examiner les candidats formés auprès d’un maître et délivre la licencia operandi. En revanche, dans la tradition italienne, ils suivent un parcours universitaire : comme l’a souligné Marilyn Nicoud, à l’Université de Pavie, le grade de chirurgien est accordé après deux ans d’étude dans un studium generale, suivis de deux années de formation pratique.
À la fin du Moyen Âge, les chirurgiens réfléchissent à l’éthique de leur pratique, définissant les risques encourus, leur responsabilité et l’attitude à tenir dans la relation thérapeutique. Ils collaborent aussi avec les autorités : leur avis expert est sollicité par les juges ; les communes italiennes les recrutent pour diagnostiquer et soigner les maladies contagieuses. Leurs prérogatives s’étendent à l’époque moderne : ils traitent les maladies vénériennes, sont indispensables dans les armées, dans la gestion de l’urgence et affirment leur place d’experts judiciaires.
Alexandre Lunel a mis en évidence le rôle des chirurgiens royaux dans la promotion de la chirurgie comme un art libéral autonome, séparé de la barberie (1743) et contrôlé par le pouvoir royal entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Ainsi, le Jardin du roi à Paris (1626), ne relève pas de la Faculté mais de l’autorité du roi et dispense un enseignement en français. Pierre Dionis, dont Jacqueline Vons a retracé la carrière, y fut démonstrateur d’anatomie et de chirurgie entre 1672 et 1680 et contribua à faire accepter la théorie de la circulation du sang découverte par William Harvey en 1628.
Les lieutenants du premier chirurgien royal étendent le contrôle aux provinces où sont diffusées les règles d’organisation, de formation et les innovations. L’influence des chirurgiens royaux est aussi sensible dans la création d’institutions comme la Société académique de chirurgie (1731), reconnue comme Académie royale de chirurgie (1748), puis l’École de dissection (1750). Ils contribuent à les émanciper des médecins de la Faculté parisienne qui intervenaient dans la réception des maîtres ; la déclaration royale de 1743 permet aux chirurgiens de constituer un collège délivrant des grades aux candidats qui ont le titre de maître ès arts.
Reconnaissant les services rendus par les chirurgiens à l’armée et à la nation, l’élite éclairée s’est manifestée en faveur de leur union avec les médecins. Selon Laurence Brockliss, la Révolution française n’a toutefois pas bouleversé leur formation, en dépit des remaniements de la profession médicale ; c’est la loi de 1803 qui fait disparaître la distinction entre les médecins et les chirurgiens, rendant désormais obligatoire l’enseignement clinique.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire :Barbier - Apothicaire
Références :
Alexandre LUNEL, La maison médicale du roi : XVIe-XVIIIe siècles. Le pouvoir royal et les professions de santé (médecins, chirurgiens, apothicaires), Seyssel, Champ Vallon, 2008.
Michael R. McVAUGH, The Rational Surgery of the Middle Ages, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2006.
Pour citer cet article : Hélène LEUWERS, “Chirurgien”, dans Hervé GUILLEMAIN (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.