Fresque représentant une perdrix, des fruits et un lapin. Maison des Cerfs, Herculanum, Ier siècle. Musée archéologique national de Naples (photographie personnelle)
Dans la pensée platonicienne, le régime est un des fondements de la stabilité de la cité. Le corps de la cité est composé de citoyens dont le mode de vie est déterminant pour l’équilibre civique. La bonne santé des corps et des âmes n’est donc pas qu’une affaire de médecine, mais aussi de philosophie et de politique. Platon est contemporain d’Hippocrate, né vers 460 av. J.-C. et mort vers 377 av. J.-C. Ce dernier est considéré comme l’un des fondateurs de la médecine occidentale et la Collection hippocratique à laquelle son nom est associé forme un corpus de textes médicaux où sont abordés les trois grands domaines de la médecine antique : la diététique, la pharmacopée et la chirurgie.
La notion de diététique dans l’Antiquité gréco-romaine est bien plus large que l’acception contemporaine du terme qui se limite souvent au domaine de l’alimentation. Elle définit une hygiène de vie complète où les choix alimentaires doivent s’articuler avec les exercices physiques, les bains, le sommeil ou encore les activités sexuelles. Lors de la consultation, le médecin doit déterminer un régime personnalisé pour son patient en fonction de son âge, de son sexe, de ses activités, de son environnement et des saisons. Le régime suppose une approche holistique de l’individu, ce qui explique que des médecins comme Galien au IIe siècle considèrent que le bon médecin doit aussi être un bon philosophe. La diététique définie dans le monde grec se diffuse à Rome, surtout à partir du Ier siècle av. J.-C., avec des médecins comme Asclépiade de Bithynie, qui acquiert une immense réputation.
Le développement du luxe de la table parmi les élites romaines interroge les moralistes qui, comme Sénèque, déplorent le dérèglement des corps et des esprits face au plaisir. Le philosophe stoïcien dénonce la corruption des mœurs par les sophistications de la gastronomie. Les maladies qui rongent les corps, à commencer par la goutte, témoignent des excès. Or, la morale romaine traditionnelle prône la virtus, c’est-à-dire une force morale qui oblige à la mesure et au contrôle de soi.
La diététique offre alors des stratégies qui permettent de se conformer à cet idéal. Les écrits de Galien, qui fut entre autres au service de Marc Aurèle et de son fils Commode, sont moins sévères que les philosophes et moralistes. Plutarque, grand défenseur de la frugalité, appelle à se contenter du strict nécessaire pour se nourrir et à rejeter tout superflu comme le font les Spartiates. Galien cherche plutôt à concilier le plaisir du goût et les nécessités de la médecine. De plus, des médecins comme Galien comptent parmi leurs patients une riche clientèle soucieuse de sa santé tout en pouvant profiter des sociabilités du banquet. Une véritable cuisine diététique est définie par Galien par le biais de recettes et de conseils précis. Les aliments doivent être savamment associés, cuits et assaisonnés. Des sauces pour les poissons ou les viandes sont par exemple proposées afin d’utiliser de façon judicieuse les aromates et épices.
Dans le traité Sur les facultés des aliments, Galien présente pour chaque type d’aliments les pouvoirs qui leur sont associés et leurs caractéristiques. Selon la théorie des humeurs, la bonne santé repose en grande partie sur une bonne digestion. Dans la médecine hippocratique et galénique, la coction suppose que les aliments cuisent une seconde fois sous les effets de la chaleur de l’estomac avant d’être assimilés. Les aliments et les boissons peuvent ainsi exercer une influence sur le fonctionnement du ventre et sur l’équilibre humoral. En cas d’excès ou de maladie, le jeûne thérapeutique peut être aussi adoptée pour remédier aux dysfonctionnements du corps.
Le régime alimentaire doit s’articuler avec les efforts physiques fournis au quotidien et les activités. Les bains sont étroitement liés aux repas car ils doivent favoriser le bon fonctionnement de l’estomac et font partie intégrante de la diététique. Des recettes spécifiques existent pour les repas pris à la sortie du bain. Quant aux exercices physiques, les athlètes et les soldats peuvent suivre des régimes spécifiques adaptés, par exemple avec une consommation importante de viande.
Les sources littéraires témoignent d’une diffusion des préceptes diététiques au sein de la société. Galien admet que les plus humbles ne peuvent avoir accès à une grande diversité d’aliments et ne disposent pas nécessairement du temps nécessaire pour prendre soin de leur corps. En tout cas, pour les plus riches, le savoir médical et le contrôle de soi au banquet est une source de distinction comme en témoigne Athénée de Naucratis dans le Banquet des sophistes au IIIe siècle. Quant au régime de l’empereur, une alimentation saine et frugale exprime la capacité à bien administrer l’Empire à l’inverse du prince tyrannique qui dévore les richesses de l’Empire.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Végétariens - Végétarisme
Références :
Dimitri Tilloi-d’Ambrosi, Le régime romain : cuisine et santé dans la Rome antique, Paris, Presses universitaires de France, 2024.
Vivian Nutton, La médecine antique, Paris, Les Belles Lettres, 2016.
Pour citer cet article : Dimitri Tilloi-d’Ambrosi, "Diététique (antiquité greco-romaine)", dans H. Guillemain (dir;), DicoPolHiS, 2024.