Mme Le Docteur Blanche Edwards-Pillet faisant un cours aux infirmières de la Salpêtrière, 1901, (Collections de la BIU Santé).
Une fois l’autorisation de passer le doctorat de médecine obtenue, c’est assez rapidement que les diplômées s’installent comme praticiennes. Le premier cabinet féminin ouvre en 1873 et le nombre de femmes médecins augmente rapidement.
Cette même année, une seule femme médecin tenait un cabinet en France. Selon le Guide Rosenwald, leur nombre a progressé au fil des années : en 1887, il y en avait 14, puis 32 en 1895. En 1909, elles étaient déjà 89 à exercer, et ce chiffre a continué d’augmenter, atteignant 142, en 1917, puis 265 en 1925. En 1931, le nombre de cabinets médicaux tenus par des femmes médecins a dépassé les 450, pour culminer à 788 en 1938.
Cela est facilité par une législation libérale sous la Troisième République, n’imposant aucune condition de sexe ou de nationalité pour accéder à la profession médicale. Bien que les résistances à l’idée de se faire soigner par une femme soient plus vives au sein de la population, les doctoresses trouvent leur clientèle. D’après Blanche Edwards : « Nous sommes appelées dans la famille pour la femme ou pour l’enfant, et nous restons le médecin de la famille entière. » Si les femmes semblent être leurs premières clientes (une des justifications de l’existence des femmes médecins serait que la pudeur empêcherait les femmes de se faire auscultées par un homme, mettant leur vie en danger) elles sont vite appréciées de l’ensemble de la population. Et les praticiennes réussissent à s’imposer.
Cette implantation des femmes médecins dans le paysage français entre 1873 et 1940 est contrastée. Les praticiennes sont plus nombreuses dans la capitale, y étant massées à environ 75 % avant la Première Guerre mondiale, 60 % ensuite. Les doctoresses s’installent d’abord dans les grandes villes avant de s’investir des villes moyennes à petites. Encore en 1940, certains départements ruraux ne comptabilisent aucun cabinet ouvert par une femme. Elles marquent là une différence d’avec leurs collègues hommes qui, bien que plus présents en ville que dans les milieux ruraux, couvrent de manière plus homogène le territoire.
Outre cette différenciation géographique, une autre peut être dressée, celle de leur implantation au sein des différentes spécialités médicales. Si les discours mettent en avant le rôle des femmes médecins en tant que spécialistes des maladies des femmes et des enfants, donnant l’impression que la majorité d’entre-elles pratiquent ces spécialisations, un examen attentif des chiffres révèlent que ce sont environ 30 % des praticiennes qui sont gynécologues ou pédiatres. Bien que ce chiffre reste élevé, il est loin de la majorité. En revanche, 60 % des cabinets sont tenus par des généralistes. Cela laisse environ 10 % de femmes pratiquant une autre branche de la médecine. Avant la Première Guerre mondiale, la dentisterie attire les femmes en nombre, puis progressivement la stomatologie. Elles se dirigent aussi facilement vers la dermatologie, l’hydrothérapie et l’électrothérapie (souvent pratiquées ensemble) ou les massages et la gymnastique. La première oculiste est Rose Bonsignorio, dès 1900. Puis le nombre de spécialités s’ouvrant aux femmes s’élargit dans l’entre-deux-guerres : orthopédie, radiumthérapie et radiologie, oto-rhino-laryngologie (ORL), endocrinologie, neurologie et anesthésie, d’où un nombre plus élevé de professionnelles à spécialiser, jusqu'à 16 %. Toutefois, en 1940, ce sont l’ophtalmologie et la dermatologie qui comptent le plus de praticiennes.
Les femmes médecins n’officient pas qu’en cabinet. Dès les débuts, elles donnent des soins dans les dispensaires, ces derniers pouvant représenter des tremplins pour se faire connaître mais aussi pour prouver que les femmes peuvent être de bons médecins. Dès les années 1890, les entreprises et institutions publiques comme privées, ainsi que les associations et autres œuvres philanthropiques, commencent à s’intéresser à leurs compétences. Le service des postes, télégraphes et téléphones (PTT) qui embauche un nombre croissant d’employées, offre dès 1891, des postes à des femmes médecins. Le théâtre, l’opéra, les écoles primaires et les lycées de jeunes filles embauchent des doctoresses dans ces mêmes années. Dès la fin des années 1900, les ministères, dont le personnel se féminise, font également appel aux femmes médecins. De manière générale, lorsqu’un service ou une entreprise féminise son personnel, la nécessité d’embaucher des praticiennes pour soigner ce nouveau personnel se fait sentir.
Le milieu hospitalo-universitaire se laisse conquérir plus difficilement. Déjà en 1885, il faut l’intervention d’Eugène Poubelle qui signe un arrêté préfectoral permettant aux femmes d’effectuer leur internat, voie qui ouvre aux postes les plus prestigieux. Mais même après-guerre, les postes les plus élevés restent en grande majorité fermés aux femmes, bien qu’elles soient plus nombreuses à effectuer leur clinicat. La première à être nommée cheffe de clinique est Mme Long-Landry en 1911. Suite à cela, un petit nombre obtient des postes hospitaliers. Dans le monde universitaire, elles sont peu à passer l’agrégation au cours de leur carrière, et deux à obtenir une chaire avant 1940 : Marthe Condat à Toulouse et Jeanne Lévy à Paris.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Étudiantes en médecine - Femmes médecins (Afrique du Nord colonisée) - La faculté de médecine de Pennsylvanie - Dr Quinn
Références :
Natalie Pigeard-Micault, « ‘Nature féminine’ et doctoresses (1868-1930) », in Histoire, médecine et santé, n° 3, 2013, p. 83-100.
Amélie Puche, Les femmes à la conquête de l’université, L’Harmattan, collection « Prix scientifique », 2022.
Pour citer cet article : Amélie Puche, « Femmes médecins », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.