E. MARIN. Caricature du docteur Henri Delagenière. (v. 1907) [Caricature]. In : Album du Rictus, journal humoristique mensuel, Deuxième série (Années 1907-1908), Paris, 1909, p. 35
Henry Delagenière (1858-1930) a eu un cursus d’études singulier, puisque conjointement à ses études de médecine, il suit un apprentissage de menuisier, imposé par son père, architecte. En 1890, il obtient le diplôme de la Faculté de médecine de Paris et décide de s’installer au Mans, où il pratique la chirurgie dans différents domaines, comme l’illustrent ses travaux traitant par exemple de la pneumectomie ou de l’angiome. Il devient en 1892, durant ses premières années de carrière, membre de la Société de chirurgie créée en 1843, dans laquelle les chirurgiens se réunissent pour exposer leurs techniques et pratiques de soin. Ces chirurgiens exercent alors une chirurgie qualifiée de générale. Selon une politique prônée dans les facultés, le chirurgien doit alors savoir tout faire.
Son installation au Mans est, elle aussi, caractéristique des changements que connaît la chirurgie au tournant du XXe siècle. En effet, en s’installant en province, Henry Delagenière décide de s’installer dans une ville qui ne dispose pas de faculté de médecine, ni de grand centre de soin. Grâce à des initiatives comme la sienne, la chirurgie est rendue plus accessible à la population provinciale française qui dépendait, avant que leur statut ne soit supprimé en 1892, de médecins de second ordre tels que les officiers de santé (soignants de qualité variable, mais à faible coût) ou de guérisseurs. Sa décision s’insère dans le contexte de « décentralisation chirurgicale » énoncée, au début du XXe siècle, par un enseignant du Dr Delagenière : le chirurgien Félix Terrier. Cette décision incite à diffuser les bienfaits de la chirurgie hors de la capitale. L’évolution est permise par la hausse du pouvoir d’achat de différentes catégories sociales pouvant désormais s’offrir les soins d’un chirurgien qui, lui, en tire un revenu semblable à celui qu’il toucherait dans la capitale. Cependant, l’initiative de Delagenière lui attire le mépris de la presse médicale parisienne, qui refuse de publier ses écrits. Afin de contrer cette restriction, celui-ci crée en 1892, avec l’aide d’autres chirurgiens de province, les Archives provinciales de chirurgie, revue qui leur permet de diffuser leurs méthodes et pratiques de soin.
Ces changements qui caractérisent la chirurgie sont accentués lors de la Première Guerre mondiale. En effet, cette guerre industrielle engendre des blessures nouvelles en Europe par leur fréquence et leur gravité, particulièrement les blessures maxillo-faciales, qui se traduisent par la fragmentation ou la destruction des maxillaires et ont engendré l’expression “gueules cassées”. Ces blessés sont nombreux mais il n’existe alors aucun centre hospitalier capable de s’en charger spécifiquement. Leur prise en charge est facilitée par la création de services de santé dédiés aux lésions de la face. Le Dr Delagenière a été chargé par le directeur du service de santé de la IVe région d’aménager, à partir d’octobre 1915, au Mans, un hôpital consacré à ces mutilés. Ces centres de santé sont dispersés à l’intérieur du territoire pour désengorger les services de soins proches du front, ce qui renforce la décentralisation de la chirurgie. Ces centres, qui soignent exclusivement ces mutilés de la face, sont spécialisés en chirurgie restauratrice, ce qui va à contre-courant de la chirurgie générale.
De plus, l’afflux massif de ces blessés permet d’expérimenter et de progresser rapidement. C’est ainsi que le chirurgien Delagenière devient l’un des plus éminents spécialistes des blessures maxillo-faciales, notamment en inventant, en 1916, une nouvelle technique chirurgicale appelée greffe ostéopériostique. Ses bons résultats ne font cependant pas taire la critique qui le pousse à soutenir sa greffe dans la capitale. Il bénéficie alors du soutien d’un praticien parisien de grande renommée, Pierre Sébileau, ce qui facilite la diffusion de sa technique. Ce soutien est complété par celui du Service de santé à partir de 1917, qui conclut que sa méthode obtient les meilleurs résultats. Sa diffusion touche ainsi ses confrères français et étrangers, qui se déplacent au Mans pour assister à ses interventions. Cependant, l’activité du chirurgien dans ce domaine spécifique prend fin avec sa démobilisation due à l’Armistice, signé le 11 novembre 1918.
Prolonger la lecture: Droit aux soins, Méthode Coué, Edgar Berillon
Références :
Sophie DELAPORTE, Visages de guerre. Les gueules cassées, de la guerre de Sécession à nos jours, Paris, Belin, 2017.
Sophie DELAPORTE, Gueules cassées de la Grande Guerre, Paris, Agnès Viénot Editions, 2004 (Première édition, 1996).
Pour citer cet article: Maxime Leproust, "Henry Delagenière" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.