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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Isolement thérapeutique

L’isolement thérapeutique est un principe fondateur de la psychiatrie moderne, dont la mise en œuvre est étroitement liée à l’organisation des institutions et à la manière dont les droits des patients sont pris en compte. Cours des chambres d'isolement à la section de sûreté de l'asile de Villejuif, 1913.

   L’isolement thérapeutique est un principe fondateur de la psychiatrie moderne, dont la mise en œuvre est étroitement liée à l’organisation des institutions et à la manière dont les droits des patients sont pris en compte.
 

   C’est autour de l’isolement que se formulent, dans la première moitié du XIXe siècle, des réflexions fondatrices de l’aliénisme. Dans un mémoire de 1832, Jean-Étienne Esquirol propose une théorie à la fois médicale et légale de l’isolement, qu’il présente comme « le moyen le plus énergique et ordinairement le plus utile, pour combattre les maladies mentales ». L’isolement consiste à arracher le malade à ses habitudes et à ses relations et à le placer dans un milieu nouveau pour « modifier la direction vicieuse de [son] intelligence ». Procédé curatif en soi, il est aussi conçu comme une condition nécessaire au « traitement moral », car il confère au médecin aliéniste l’autorité nécessaire pour mettre en œuvre la cure. L’internement selon les modalités déterminées par la loi de 1838 en est la traduction pratique. À l’asile d’aliénés, l’isolement thérapeutique se manifeste par un contrôle étroit des contacts du malade avec l’extérieur et par une mise à distance des familles.

   Le placement en cellule à l’intérieur de l’asile constitue un deuxième niveau d’isolement des aliénés. La pratique est très couramment employée à l’égard des malades « agités » mais ses vertus sont discutées – en particulier par les aliénistes britanniques, acquis aux idées du no-restraint. Nombreux sont les médecins qui admettent l’inefficacité thérapeutique du procédé, mais qui le considèrent comme indispensable à la préservation de la tranquillité des établissements. 

   Face aux critiques de la loi de 1838, accusée de ne pas offrir suffisamment de garanties de la liberté individuelle, les vertus de l’isolement thérapeutique sont régulièrement réaffirmées par les aliénistes. L’isolement reste le principe cardinal par lequel la profession prétend, dans le même mouvement, défendre les intérêts de la société et agir pour le bien du malade. Mais la crise des asiles, qui sont surchargés et qui peinent à guérir leurs malades, ouvre la voie à des contestations plus franches du principe de l’isolement, parfois venues de la profession médicale elle-même. Ainsi, dans les années 1890, le médecin Évariste Marandon de Montyel met en œuvre une politique d’open-door à l’asile de Ville-Évrard : les malades sont libres d’aller et venir, de communiquer avec l’extérieur et de recevoir des visites de leurs proches. Au début du XXe siècle, l’utilité de l’isolement se trouve également contestée pour le traitement de la neurasthénie et des névroses, certains lui préférant la « cure libre ».

   À mesure que les institutions psychiatriques s’ouvrent sur l’extérieur au XXe siècle, l’isolement perd de sa centralité. L’entre-deux-guerres est ainsi marqué par l’ouverture de services libres. Dans une optique prophylactique, l’enjeu est de soigner avant que l’isolement ne devienne nécessaire. Le mouvement de réforme de la psychiatrie engagé après la Seconde Guerre mondiale accentue cette tendance. Il s’agit de réfléchir aux moyens de resocialiser et de « réadapter » les malades plutôt que de les isoler. Comme principe thérapeutique, l’isolement n’est cependant pas rejeté dans son ensemble : le psychiatre Lucien Bonnafé, partisan de la psychothérapie institutionnelle, l’admet comme changement de milieu, et non comme coupure du lien social. Quant à la cellule d’isolement, elle apparaît plus que jamais comme une survivance archaïque de l’asile d’aliénés ; elle est, selon Bonnafé, presque toujours une « manifestation d’intolérance » et non une mesure thérapeutique.
 

   L’isolement a cependant bel et bien survécu à la « déshospitalisation » psychiatrique de la seconde moitié du XXe siècle. Au début du XXIe siècle, les discussions et les débats se focalisent autour du placement en « chambre d’isolement » ou « d’apaisement », appellation qui a remplacé le terme de « cellule ». Alors que de multiples rapports, comme celui du Contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2016, en pointent l’utilisation systématique et souvent abusive, les médecins repensent ses vertus thérapeutiques. On invoque notamment la diminution des stimuli sensoriels, la possibilité de mise en place d’une relation maternante avec les soignants. Son usage tend néanmoins à être de plus en plus encadré par des procédures se voulant protectrices des droits des patients.

   En parallèle, l’hospitalisation en général continue à remplir des fonctions d’isolement : éloignement du malade de son entourage, régulation et filtrage des liens avec l’extérieur, etc. Mais l’évolution des institutions et la prise en compte des droits des patients en rendent l’application plus souple. Ainsi, si l’usage du téléphone portable peut être réglementé, il ne peut être interdit aux patients, dont le droit à communiquer avec l’extérieur est reconnu comme une liberté fondamentale. De même, les visites et les contacts avec l’extérieur peuvent être limités par décision médicale, particulièrement dans le cadre des hospitalisations sous contrainte, mais non complètement interdits. 

   L’isolement n’est donc plus le principe central par lequel doit s’opérer la cure psychiatrique. Mais il reste une pratique qui structure le quotidien des institutions de soins et qui interroge le pouvoir du psychiatre sur son patient. 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Asile - Tutelle - Uniforme asilaire

 

Anatole Le Bras - Chercheur post-doctorant au Centre for History and Economics in Paris (CHEP, Sciences PO)

Références

Lucien Bonnafé, « Réflexions sur l’isolement thérapeutique (Le problème des “cellules” et des chambres d’isolement à l’hôpital psychiatrique) », in L’Information psychiatrique, vol. 24, n° 5, juin 1949, p. 172-186. 

Jan Goldstein, Consoler et classifier. L’essor de la psychiatrie française, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1997. 

 

Pour citer cet article : Anatole Le Bras, « Isolement thérapeutique », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024. 

 

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