Pietro Pajetta (1845-1911), La Haine (Der Hass), huile sur toile, 160 × 270 cm, 1896, Museo del Cenedese (Vittorio Veneto), Italie.
Le 21 septembre 2022, Netflix lance la diffusion d’une nouvelle série : Monster: The Jeffrey Dahmer Story. L’engouement est immédiat, la série se classe rapidement parmi les plus regardées de la plateforme. Les 10 épisodes retracent la vie, l’arrestation, le procès et l’ incarcération de cet homme reconnu coupable d’avoir tué et démembré dix-sept jeunes hommes et d’avoir eu des relations sexuelles avec certains des corps. Cette affaire a remis le sujet de la nécrophilie au cœur du débat public.
La nécrophilie ou littéralement l’amour (philie) de la mort (nekros) est une attirance sexuelle pour les cadavres. De façon plus large, le concept englobe toutes les pulsions et phantasmes qui peuvent naître autour d’objets liés à la mort symboliquement ou réellement. C’est une pratique identifiée depuis longtemps et l’amour d’un corps mort fût décrit plus ou moins précisément par la littérature et les arts en général. Cependant, c’est à partir du XIXe siècle que l’on voit apparaître des cas réellement documentés.
Une des affaires emblématiques révélée alors fût celle du “Vampire du Montparnasse”. Entre 1848 et 1849, des sépultures du cimetière de Montparnasse à Paris sont profanés. Des corps de femmes sont retrouvés déterrés et mutilés. Les autorités, incapables d’arrêter l’auteur et soumis à la pression de l’opinion publique, décident alors de piéger le cimetière. Un système de tir automatique est mis en place et parvient à blesser le « Vampire ». Trahi par sa blessure à la jambe, François Bertrand est appréhendé. Il passe aux aveux, reconnaissant les mutilations, mais avoue s’être aussi masturbé sur les corps. Militaire, François Bertrand passe en cour martiale. Examiné par des aliénistes, on découvre que les pulsions du sergent remontent à l’adolescence et que son comportement relève plus du pathologique que de la simple malveillance. Malgré les demandes de la défense et l’avis des experts qui souhaitent que Bertrand soit déclaré irresponsable de ses actes, la cour condamne le « Vampire » à un an de prison pour violation de sépulture au titre de l’article 360 du code pénal. Le verdict fait débat, car la communauté médicale fustige la cour qui n’a pas tenu compte des avis médicaux tandis qu’une partie de l’opinion trouve le verdict trop clément. Sa peine achevée, Bertrand réintègre l’armée et part servir en Algérie.
L’affaire du Vampire de Montparnasse suscite un certain intérêt dans le monde médical pour la nécrophilie. Le psychiatre belge Joseph Guislain est le premier à utiliser le terme en catégorisant les différents « aliénés destructeurs ». Mais c’est l’article de Claude François Michéa , « Des déviations maladives de l’appétit vénérien » paru dans L’Union Médicale en juillet 1849 qui fait surtout date suite au procès qui est resté dans les mémoires. Première approche des « déviations », le texte apparaît surtout aujourd’hui comme un plaidoyer visant à montrer que l’homosexualité n’est pas hors-norme. Michéa est d’ailleurs condamné par la suite pour outrage à la pudeur, une mention qui signale à cette époque la pratique homosexuelle.
En 1901, une autre affaire surgit à la une, il s’agit de l’affaire Ardisson. Victor Ardisson dit le Vampire de Muy commet à la fin du XIXe siècle différents types de mutilations et actes sexuels sur des corps de jeunes femmes et de fillettes. Il avoue par ailleurs avoir décapité le cadavre d’une jeune fille de 13 ans qu’il a rapporté chez lui et qu’il considérait comme sa fiancée, se créant ainsi un lien relationnel et affectif avec la tête momifiée. Suite à son arrestation et son jugement, Victor Ardisson n’est pas envoyé en prison mais à l’asile, où il est examiné par différents médecins. Il est ainsi le premier « objet d’étude » permettant de mettre en place un profil psychologique du nécrophile.
On voit ainsi apparaître des cas mêlant la nécrophilie au nécro-sadisme (mutilation de cadavres dans un but de destruction), ou bien des cas de nécrophilie dans un but purement sexuel ou sentimental. Plusieurs degrés sont distingués, du plus violent au plus pacifique, mais le nécrophile est représenté comme un meurtrier qui assouvit ses pulsions sexuelles sous forme de masturbation ou de coït avec le cadavre. Il existe aussi des cas comme celui d’Ardisson qui, devenu fossoyeur, peut accéder à des corps sans avoir à tuer. Vient enfin la nécrophilie que l’on peut qualifier d’amoureuse lorsqu’il est question d’attirance ou de sentiments pour des personnes décédées. Dans le même esprit, ce phénomène touche des individus ayant perdu un être cher mais y restant fortement attachés au point de le garder auprès d’eux. La nécrophilie est principalement perçue par les médecins du XXe siècle comme une dégénérescence touchant uniquement des hommes et qui pour la plupart n’ont que très peu de contacts avec des femmes.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : zombis - embaumement - Photographier le cadavre
Références
Amandine Malivin, Voluptés macabres : la nécrophilie en France au XIXe siècle, Thèse pour le doctorat en Histoire et civilisations, Université Paris Diderot – Paris 7, 2012.
Alexis Épaulard, Vampirisme, nécrophilie, nécrosadisme et nécrophagie, A. Storck & Cie., 1901.
Pour citer cet article : Léo Godry, “Nécrophilie”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.