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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Toilettes publiques

Les toilettes publiques, une innovation sanitaire de la fin du XVIIIe et XIXe siècle, nous racontent l’histoire des commodités dans un espace nouveau.Urinoir en ardoise à trois stalles, photographie, Charles Marvilles, Avenue du Maine à Paris, vers 1865, State Library of Victoria.

   Les toilettes publiques, une innovation sanitaire de la fin du XVIIIe et XIXe siècle, nous racontent l’histoire des commodités dans un espace nouveau.

 

   La mise en place de toilettes publiques et d’égouts est une question d’ordre public au XVIIIe siècle. En effet, dans toutes les grandes villes d’Europe telles que Londres ou encore Paris, les villes sont de grandes « poubelles » à ciel ouvert. La population se soulage dans la rue mais laisse également ses ordures sur la voie publique. Ces pratiques rendent l’air des villes invivable et favorisent la circulation de maladies comme la typhoïde, le choléra ou encore l’hépatite. Ces conditions sanitaires mènent à une réflexion des représentants des villes, mais aussi des membres du gouvernement, sur la question de l’hygiène au sein des villes. Du point de vue médical, au XVIIIe et XIXe siècle, les médecins s’associent avec les autorités dans la mise en place des toilettes publiques. Ces derniers ont comme volonté de contrôler et limiter la propagation d’épidémies dues aux excréments présents dans la rue. Cela se traduit, dans un premier temps, par la mise en place d’égouts à la fin du XVIIIe siècle. Puis, à l’installation des premiers sanitaires publics avec les barils d’aisances qui apparaissent en 1770 à Paris.

 

   Les barils d’aisances sont des vases mis en place dans certaines rues de Paris. Cette initiative a pour but que les vases deviennent des urinoirs collectifs, réservés seulement à une utilisation masculine. On cherche également à rendre l’objet d’aisance esthétique en milieu urbain. À Paris, on passe des barils d’aisances aux fameuses vespasiennes à partir de 1830. Les vespasiennes sont des guérites cylindriques abritant des urinoirs à une place et exclusivement masculins. Le terme « vespasienne » fait référence à l'empereur romain Vespasien, bien que le nom ait été changé à l'origine des « Colonnes de Rambuteau », du nom du préfet de Paris qui les avait fait installer. On assiste même au développement de nouveaux termes pour baptiser ces lieux, tels que « théières » ou encore « tasses » en raison de l’esthétique des vespasiennes. À Paris, on compte 500 vespasiennes à cette époque. Malgré cela, l’esthétique ne fait pas tout. Pour que la population aille dans ces lieux de commodités, le gouvernement n’hésite pas à sévir face aux débordements qui peuvent exister. Les mauvaises habitudes telles que uriner hors de ces lieux sont beaucoup plus réprimandées par les forces de l’ordre. On assiste à la mise en place de panneaux dissuasifs et à l’interdiction d’uriner sur la voie publique. 

   Les vespasiennes sont les toilettes publiques qui se développent le plus, mais on assiste aussi à certaines inventions qui n'ont pas connu un succès similaire. En 1878, à Paris, lors de la troisième exposition universelle, sont présentées les premières toilettes publiques ambulantes. Celles-ci sont traînées par deux chevaux et composées de six places assises pour faire ses besoins. En plus de cela, deux places sont réservées aux dames. Ce moyen de commodité ne réussit pas à s’implanter mais il montre que les innovateurs cherchent à le faire évoluer au sein de l’espace publique.

   Malgré tout, les toilettes publiques au XIXe siècle restent un espace de grande inégalité, car la disposition de ces objets demande de se soulager debout. Il est beaucoup plus compliqué pour une femme d’uriner comme les hommes. Elles se retrouvent donc sans espace public pour se soulager, et aucun écrit ne notifie l’existence de toilette publique pour femme. On peut penser que les besoins féminins ne sont que très peu abordés voire oubliés. Tout comme sur d’autres sujets de cette époque, la condition féminine reste taboue. L’apparition des toilettes publiques avec usage féminin n’arrive qu’au cours du XXe siècle, soit près d'un siècle et demi plus tard.

 

   C’est aussi avec l’apparition de ces nouvelles toilettes publiques que les autorités sont confrontées à de nouvelles pratiques jugées parfois comme « déviantes » autour de cet espace. Ces lieux de soulagement sont vite investis par un grand mouvement de prostitution masculine. De nombreux témoignages expliquent que des hommes passaient leurs journées dans ces espaces insalubres pour y attendre des clients dans le but d’avoir des rapports sexuels. Ces espaces deviennent aussi des lieux de fétichisme avec notamment des addictions telles que la scatophilie, la scatophagie mais aussi « les soupeurs » qui viennent tremper leur pain dans l’urine reposant dans ces commodités. Toutes ces pratiques sont combattues par les politiques pour le bien de la santé publique. Elles sont aussi punies par la loi, c’est notamment le cas de la prostitution en pleine période de reglementation. Les médecins avertissent aussi la population sur les pratiques présentes dans ces espaces. Les médecins hygiénistes et les représentants politiques travaillent ensemble pour améliorer les conditions hygiéniques des villes.

 

   Aujourd’hui, les toilettes publiques restent un espace de débats sociétaux, et les différentes décisions politiques n’ont pas enrayé des pratiques qui persistent toujours à notre époque.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Barcelone 1821 - Verdunisation 

 

Benjamin Dupont - Le Mans Université

Références :

Julien Damon, « Toilettes publiques: Essai sur les commodités urbaines », in Presse de Sciences Po, 2023, p. 41-75.

Roger-Henri Guerrand, Les lieux : Histoire des commodités, La Découverte, Poche/Essais, 2022, p.161-174.


Pour citer cet article
: Benjamin Dupont,  « Toilettes publiques », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024. 



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