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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Ventilateur

Au XVIIIe siècle, les marines européennes investissent dans de nouveaux moyens techniques pour améliorer la qualité de l’air à bord des navires.Figure 1. Ventilateurs et soufflets. Henri-Louis Duhamel du Monceau, Moyens de conserver la santé aux équipages des vaisseaux, Paris, H.L. Guerin & L.F. Delatour, 1759, planche II. Bibliothèque nationale de France.

   Au XVIIIe siècle, les marines européennes investissent dans de nouveaux moyens techniques pour améliorer la qualité de l’air à bord des navires.

   L’époque moderne voit le développement des premiers empires coloniaux européens et l’essor d’un commerce maritime mondialisé. C’est un nouveau type de mobilité qui se trouve à l’origine de ce mouvement d’expansion : le voyage transocéanique. Celui-ci imposait des séjours en mer de plusieurs mois, sans possibilité de toucher terre, et des conditions sanitaires à bord particulièrement précaires. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’attention des médecins et officiers de marine pointe une origine principale aux maladies contractée dans ces voyages : la qualité de l’air à bord des navires.

   Pour les marines européennes, comme pour les compagnies des Indes, les stratégies destinées à protéger la santé des marins se concentrent sur la ventilation et l’assainissement de l’atmosphère des bâtiments. Celles-ci se focalisent en particulier sur un espace au sein duquel la qualité de l’air était jugée critique : l’entrepont. Lieu de vie et de travail des hommes de l’équipage, il constitue aussi un espace de stockage encombré, accueillant des parcs d’animaux destinés à la table du capitaine et à l’alimentation des malades. Des dispositions relevant de l’hygiène navale ont été prises pour encadrer la salubrité de ces lieux et organiser l’assainissement de leur air. En France, L’Ordonnance de Louis XIV pour les armées navales et arsenaux de marine (1689), impose un entretien quotidien du navire, comprenant une ventilation de celui-ci par l’ouverture des sabords. Dans le même temps, les premiers traités de médecine navale insistent sur la nécessité de renouveler l’air, mais aussi de le « purifier » au moyen de fumigations.

   Au milieu du XVIIIe siècle, l’anxiété vis-à-vis de la qualité de l’air à bord ne fait que croître, portée par des travaux de médecins tels que James Lind ou Antoine Poissonnier-Desperrières. Ce mouvement s’insère dans un contexte plus général où ce sujet cristallise l’attention pour nombre de situations sanitaires, en particulier les milieux urbains et les espaces clos. Le médecin écossais John Pringle popularise les termes de fièvres des « prisons », « hôpitaux » et « vaisseaux ». C’est alors que sont inventés de nouveaux dispositifs techniques, généralement appelés soufflets ou ventilateurs, proposant d’améliorer la qualité de l’atmosphère des lieux les plus sensibles en faisant circuler d’importants volumes d’air. Deux machines britanniques connaissent un succès important à partir des années 1740. La première, créée par Samuel Sutton, consiste en une sorte de pompe capable d’aspirer l’air vicié d’un lieu pour l’en extraire. La deuxième, inventée par Stephen Hales, se présente comme un dispositif destiné à ventiler les espaces clos. Ce dernier fait l’objet d’une importante attention des deux côtés de la Manche, en particulier pour les hôpitaux et la marine.

   En France, des essais du ventilateur Hales sont rapidement réalisés à l’Hôtel Dieu de Paris. Henri-Louis Duhamel du Monceau, Inspecteur général de la marine et membre de l’Académie royale des sciences, publie en 1759 un ouvrage sur les Moyens de conserver la santé aux équipages des vaisseaux. Il y établit un bilan de tous les dispositifs de ventilation pouvant être employés en mer et encense le ventilateur Hales, qu’il juge « d’un usage excellent ». En parallèle, les ministres de la marine successifs montrent un intérêt certain pour ces machines. Des essais sont régulièrement organisés en mer et dans les hôpitaux de marine. Cependant, les dispositifs britanniques avaient été pensés pour la Royal Navy et devaient être adaptés aux bâtiments français.

   En 1780, un mécanicien de marine nommé Henri Weulersse propose au ministre un nouveau ventilateur de son invention. Après des essais concluants, le ministre décide, en janvier 1782, d’en équiper tous les vaisseaux de la marine royale. Le développement d’un ventilateur français tombait à pic, puisqu’un Règlement concernant la Propreté des Vaisseaux, & la Conservation des Equipages promulgué deux ans plus tôt ordonnait qu’il soit « embarqué sur tous les Bâtiments de Sa Majesté, des ventilateurs, dont il sera fait le plus d’usage possible ». Un marché est alors conclu avec Weulersse en vue de la livraison de 123 ventilateurs, pour une dépense totale estimée à 240 000 livres. Cette entreprise de grande envergure fut un échec, peu de machines étant finalement installées à bord de vaisseaux du roi, notamment parce que les contraintes de leur utilisation pratique en mer soulevaient l’opposition des officiers de marine. Cet épisode témoigne néanmoins de la volonté politique de déployer, à travers le ventilateur, un programme d’hygiène navale destiné à préserver une ressource humaine stratégique pour la Royaume.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Lazarets - Zone torride 

Guillaume Linte - Institut des Humanités en Médecine – CHUV / Université de Lausanne

Références : 

Guillaume Linte, Hygiène navale et médecine des colonies en France (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Les Indes Savantes, 2023.

Arnold Zuckerman, « Disease and ventilation in the Royal Navy: The woodenship years », in Eighteenth-Century Life, vol. 11, n° 3, p. 77-89.


Pour citer cet article : Guillaume Linte, « Ventilateur », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

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