Photographie d’Adrien Proust par Paul Nadar, 1886.
La crise du Covid-19 a remis en lumière la figure d’Adrien Proust. En effet, le port du masque, les distances sanitaires ou les règles d’aération des locaux sont autant de « gestes barrières » entrés dans nos vies et qui furent également ses centres d’intérêt. Né en 1834 et mort en 1903, Adrien Proust est un personnage relativement oublié de l’histoire médicale.
Il commence sa carrière en étant à la fois médecin libéral et praticien à l’hôpital, mais il décide rapidement de concentrer son travail sur les maladies infectieuses telles que le choléra, dont la quatrième pandémie touche la France en 1866. Elle incite le médecin à réaliser davantage de recherches sur le sujet, notamment sur les facteurs de propagation de cette maladie. Proust se rend sur le terrain, en Russie et en Perse en 1869 et analyse les dynamiques épidémiques propres à ces espaces.
À la suite de ses recherches, il publie en 1873 un Essai sur l’hygiène internationale, ses applications contre la peste, la fièvre jaune et le choléra asiatique, qui le propulse au rang de spécialiste international des épidémies. Dans cet ouvrage, il dresse le tableau clinique de ces trois maladies en mettant en avant les symptômes qu’elles provoquent chez les malades et les vecteurs qui permettent leurs propagations dans les populations. Il y fait surtout mention des solutions qui lui paraissent les plus aptes à endiguer les épidémies.
Parmi les outils préconisés par Proust pour contrôler la maladie, deux d’entre eux se distinguent des autres. Le premier est la mise en place de cordons sanitaires, des zones géographiques où les accès sont contrôlés quand une épidémie sévit en son sein. Le second est le placement en quarantaine des malades dans des lazarets, des établissements terrestres ou maritimes dans lesquels les malades atteints de maladies infectieuses sont enfermés à l’écart du reste de la population. Ce ne sont en aucun cas des mesures nouvelles, les lazarets et autres quarantaines étant des solutions déjà traditionnelles de contrôle de la maladie. Néanmoins la systématisation et la centralisation des efforts prescrits sont, elles, inédites. En 1874, par décret, les autorités créent un premier outil juridique qui définit des cordons sanitaires et les lazarets qui doivent répondre localement aux besoins. Cette politique centralisée semble porter ses fruits en faisant régresser les foyers épidémiques.
Si elle est efficace, cette politique n’est pas sans susciter des remous dans le corps social. En 1884, dans la commune d’Yport, sur la côte de la Manche, un confinement strict est décrété pour enrayer l’épidémie de choléra qui touche la ville, mais une partie des Yportais sont hostiles à certaines mesures qu’il engendre. La désinfection des chalets d'isolement et la surveillance accrue par les forces de l’ordre ne sont pas du goût des locaux et les habitants se disent prêts à prendre les armes pour montrer leur opposition. Le maire d’Yport se retrouve contraint d’assouplir certaines mesures, mais il maintient tout de même le confinement, empêchant les habitants de sortir de la ville pour travailler dans les communes proches.
Le docteur Proust connaît alors une carrière de premier plan. À partir de 1874, il occupe le poste d’inspecteur général des services sanitaires internationaux dont l’objectif est de planifier et mettre en œuvre à l’échelle mondiale les politiques sanitaires et sociales face aux maladies infectieuses. Cependant, il ne délaisse pas le terrain et retourne à plusieurs reprises sur des sites épidémiques tels que le Maghreb et le Proche-Orient, mais également en France, en particulier à Marseille et Toulon pendant la cinquième épidémie de choléra en 1884. En 1892, lors de la conférence de Venise, il propose la création d’une structure internationale permanente, l’Office international d’hygiène publique de la Société des nations qui aura pour objectif de mettre en œuvre une charte sanitaire. Cette structure est la genèse de ce qui devient l’OMS en 1948.
Adrien Proust meurt d’une crise d’apoplexie au cours de la conférence sanitaire de Paris en 1903, peu avant la création de l’Office international d’Hygiène publique. Promoteur d’une médecine de flux, basée sur une rationalité statistique et l’intervention publique, Adrien Proust incarne la profonde révolution qui touche la médecine au XIXe siècle. Sa renommée s’éteint pourtant presque avec son décès : le succès de son fils Marcel, l’apparition de médicaments efficaces comme les antibiotiques ont fait tomber ses travaux dans l’oubli jusqu’à leur redécouverte permise par l’épidémie de Covid-19, au début des années 2020.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Masque sanitaire - Peste de Marseille (1720-1722)
Références :
Sylvia Chiffoleau, « Genèse de la santé publique internationale : De la peste d’Orient à l’OMS », in Revue d'Histoire du XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 288 p.
Daniel Panzac, Le docteur Adrien Proust, père méconnu, précurseur oublié, Paris, L’Harmattan, collection « Acteurs de la Science », 2003, 252 p.
Pour citer cet article : Kilian Ferro, « Adrien Proust », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.