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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Masque sanitaire

Le masque prophylactique a été généralisé dans le cadre d’épisodes épidémiques brutaux (peste de Mandchourie, « grippe espagnole »…), qui ont fait office de moteurs du développement de politiques publiques de protection face aux maladies.K. Chimin Wong and Wu Lien-Teh, Photograph depicting how the gauze-cotton mask should be worn, Manchurian Plague Prevention Service, 1910-1911, © Wellcome Collection.

   Le masque prophylactique a été généralisé dans le cadre d’épisodes épidémiques brutaux (peste de Mandchourie, « grippe espagnole »…), qui ont fait office de moteurs du développement de politiques publiques de protection face aux maladies.

 

   Le 20 mars 2020, la porte parole du gouvernement d’Édouard Philippe, Sibeth Ndiaye, affirmait lors d’une interview pour la radio RMC qu’elle ne « [savait] pas utiliser un masque », le port de celui-ci relevant selon ses dires de « gestes techniques précis ». A près d’un siècle d’intervalle, en 1922, le docteur sino-malaisien Wu Liande incluait la photographie qui illustre cette notice dans un rapport intitulé « Comment les masques anti-peste se portent. », rapport issu d’études de terrain menées en Mandchourie (Nord-Est de la Chine), où une épidémie de peste sévissait. Déjà, la question d’une « technicité » du port du masque se posait pour ses promoteurs médicaux, faisant appel à une pédagogie particulière. Cette proximité thématique d’enjeux relevant pourtant de temporalités éloignées nous enjoint à examiner l’histoire d’une généralisation du masque à usage prophylactique dans nos sociétés mondialisées.

 

   Le masque en forme de bec d’oiseau du « docteur de peste » du XVIIe siècle, image classique souvent mobilisée récemment dans les médias, ne correspond absolument pas aux réalités recouvertes par l’usage du masque sanitaire tel que nous le connaissons. Il s’agissait de combattre les prétendus « miasmes » (une forme d’émanation, de vapeur nocive) à l’aide de produits contenus dans le fameux bec. L’émergence puis l’imposition, dans la seconde moitié XIXe siècle, de la théorie microbienne et de la bactériologie, ont mené à la constitution de nouvelles logiques de lutte face aux maladies, par la désinfection (antisepsie) comme par la protection (asepsie).

 

   En outre, l’émergence du masque sanitaire a eu lieu selon une étonnante reconfiguration d’un outil qui n’était pas prévu à cet effet. Le médecin britannique Julius Jeffrey avait mis au point dans les années 1830 (le brevet est déposé en 1836) un « respirateur », en métal et textile, devant permettre aux victimes de maladies pulmonaires de mieux respirer grâce à la conservation de la chaleur et de l’humidité de l’air expiré par le porteur. Si certains pairs émirent des critiques, l’invention bénéficia malgré tout d’une des plus grandes vitrines internationales, étant incluse au catalogue de l’exposition universelle de 1862 à Londres. L’invention de Julius Jeffrey a par la suite parcouru le monde, ce que révèle l’émergence de publicités japonaises promouvant son « respirateur » dans les années 1870. Ces réclames, européennes comme japonaises, le présentaient tant comme un outil de traitement destinés à des victimes de maladies pulmonaires (ce pour quoi il avait été mis au point) que comme un moyen de protéger n’importe quel porteur de cette « machine à respirer » (kokyūki) des maladies.

 

   Par la suite, l’éclosion de foyers épidémiques de peste en Asie dans le tournant des XIXe et XXe siècle fut à l’origine d’une utilisation de plus en plus massive de ce type de protection standardisée du nez et de la bouche. Le déclenchement d’un épisode de peste à Hong Kong en 1894 et la découverte du bacille responsable par Kitasato Shibasaburo et Alexandre Yersin a constitué un premier jalon, les bactériologistes du monde entier commençant à se munir de respirateurs. Mais c’est à l’occasion du déclenchement de l‘épidémie de Mandchourie en 1910-1911 (qui réapparaît à l’hiver 1921) que s’observent les premières utilisations massives de ce type d’équipement à l’échelle des personnels de santé en contact avec les malades. C’est dans le cadre des divers travaux produits par des médecins du monde entier que s’impose en outre le terme de « masque » au détriment de « respirateur », jusque-là privilégié en anglais comme en chinois. C’est d’ailleurs le docteur Wu Liande qui avança dans des interventions face à ses homologues internationaux (deux conférences se tiennent en 1911 et 1921) que le masque pouvait être un « puissant outil pour éduquer la population chinoise à maintenir une bonne hygiène personnelle ». Wu Liande considérait en outre ces populations (particulièrement celles du Nord-Est de la Chine) comme étant « ignorantes ». Cette logique impliquait aussi un caractère presque « endémique » à la Mandchourie de cette maladie, et était liée à un racisme implicite des études dites de « médecine tropicale ».

 

   Mais la « grippe espagnole », qui sévit de 1918 à 1919, a touché le monde entier dans des proportions presque inédites. Les États-Unis virent naître dans ce cadre l’émergence de politiques publiques de réponse à la pandémie, des initiatives qui firent entrer le masque prophylactique dans le quotidien de la société civile, particulièrement à San Francisco, ville de 400 000 habitants en 1910. En octobre 1918, la municipalité, dont la politique sanitaire était dirigée par le docteur William C. Hassler, imposa successivement le port du masque aux barbiers, aux employés d’hôtellerie et aux commerçants notamment (inscrits dans une liste publiée). Puis, d’abord conseillé, le port du masque en public fut imposé à tout résident ou visiteur de la ville le 25 du même mois, l’objet devenant par ailleurs pour les autorités, notamment, « un symbole du patriotisme en temps de guerre ». Le maire de la ville, James Rolph, assurait en ce sens que « la raison, le patriotisme et l’autoprotection requièrent une obéissance rigide et immédiate » à la réglementation. Le gouverneur de Californie William Stephens, faisant écho aux propos du maire de San Francisco, indiquait que porter un masque était « un devoir patriotique pour tous les citoyens américains ». Malgré tout, la mesure fut levée le 1er février 1919, satisfaisant ainsi la Ligue Anti-Masque de San Francisco, puisque la municipalité avait déterminé que la situation sanitaire s’était améliorée.

 

   Retracer l’émergence d’une généralisation de l’usage du masque prophylactique c’est donc se confronter à des aspects tant techniques que sociaux et culturels d’une histoire résolument mondialisée. Liée aux évolutions médicales conceptuelles du XIXe siècle et à une reconfiguration d’un outil, cette généralisation a eu lieu dans le cadre d’épisodes épidémiques brutaux (peste de Mandchourie, « grippe espagnole »…), qui ont fait office de moteurs du développement de politiques publiques de protection face aux maladies.

 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Grippe espagnole - Grippe russe - Quarantaine - Barcelone 1821 - Encombrement- Patient zéro et Porteur sain

 

Clément Mei - Le Mans Université

Références :

Meng Zhang, "From respirator to Wu’s mask : the transition of personal protective equipment in the Manchurian plague", Journal of Modern Chinese History, 14:2, 2020, p.221-239.

Tomohisa Sumida, Iijima Jadie (trad.), "Covering Only the Nose and Mouth : Towards a History and Anthropology of Masks", Electronic journal of contemporary japanese studies, 21:3, 2021 (1ère éd. Jap. 2020).

 

Pour citer cet article : Clément Mei, "Masque sanitaire", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022. 



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