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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Édulcorants de synthèse

L’histoire des édulcorants de synthèse n’est pas seulement économique, elle illustre la dimension politique des questions de santé liées à l’alimentation. "Sugar. Save it. “ (Le sucre. Économisez-le), Affiche de la United States Food Administration, v. 1917 - v. 1919, The U.S. National Archives.

   L’histoire des édulcorants de synthèse n’est pas seulement économique, elle illustre la dimension politique des questions de santé liées à l’alimentation.

 

   En pleine Seconde Guerre mondiale, la France autorise l’emploi de la saccharine dans la préparation de certaines denrées et boissons. D’après le Journal Officiel du 17 avril 1941, le décret du 11 avril 1941, complétant le décret du 4 septembre 1940, autorise cet emploi. Si cette fastidieuse litanie réglementaire est intéressante pour retrouver les décrets en question, elle l’est surtout pour comprendre la place occupée par les édulcorants de synthèse en temps de crise. 

 

   Avant tout, l’obtention du goût sucré s’effectue historiquement par l’extraction de saccharose de la canne à sucre, et beaucoup plus récemment, de la betterave sucrière. Ce saccharose ainsi obtenu, provenant de plantes, est qualifié d’édulcorant naturel. À contrario, dès le XIXe siècle, les progrès de la chimie permettent de synthétiser en laboratoire les premiers édulcorants artificiels, telle la saccharine. Ces substances, n’existant pas dans la nature, proposent une sapidité douce parfois plus de cent fois supérieure au sucre de table. Leur avantage peut être vu dans leur production qui garantit une moindre dépendance aux territoires producteurs de canne à sucre ainsi qu’une moindre sensibilité aux aléas climatiques, et un ajustement possible de leur synthèse à la consommation humaine. Néanmoins, à cette période, le principal édulcorant reste le saccharose, notre sucre de table actuel.

 

   Lors de périodes de crise, telles les deux Guerres mondiales, il devient plus difficile pour le secteur du sucre d’approvisionner le marché. De fait, les édulcorants de synthèse sont des ersatz bienvenus, complétant l’approvisionnement en produits sucrés. Le cas de la saccharine est révélateur de cet état. En effet, son emploi proscrit dans la préparation de tous les aliments par la loi du 30 mars 1902 est désormais toléré à partir de 1940 en raison de la grave pénurie de sucre touchant la France métropolitaine du fait de la guerre. En octobre 1950, l’Académie de Médecine, consultée par le ministre de la Santé Publique et de la Population, afin de déterminer la légitimité de la tolérance sur l’usage de la saccharine toujours en vigueur après-guerre, se prononce en faveur de son retrait pur et simple, le libre marché du sucre pouvant de nouveau s’effectuer. Cette défiance du naturel sur l’artificiel, marque le combat idéologique du saccharose et des édulcorants synthétisés en laboratoire tout au long du XXe siècle.

 

   En revanche, lorsque ces derniers sont disponibles sur le marché hors période de crise, ils apparaissent comme de dangereux concurrents du sucre. La période marquant le début de cet affrontement est la décennie des années 1970. En effet, tandis que les conditions de vie changent, apportant de nouvelles préoccupations de santé et d’esthétisme corporel, le sucre, aliment apportant le plus de calories sous le plus petit volume, pour reprendre un slogan du Cédus des années 1950, devient l’objet d’une « saccharophobie ». Les corps féminins sont les plus touchés par ces nouvelles injonctions. Les édulcorants de synthèse, vantés pour leur goût sucré et leur moindre apport calorique - voire leur absence de calories – prennent une place importante dans les habitudes de consommation. L’affrontement du naturel contre l’artificiel pousse à l’étude des édulcorants synthétisés et à une certaine réserve à leur encontre. La seconde moitié du XXe siècle est ainsi jalonnée de réglementations quant à leur utilisation. Le Cédus, lobby de l’industrie sucrière en France, relaie dans ses diverses publications périodiques, tout article mettant en garde contre le danger de consommation de certains édulcorants de synthèse. De même, il semblerait que le Cédus ne soit pas juste un relais passif de ces informations, mais aussi un producteur actif puisqu’un fonds de concours du Cédus permet la sortie d’une étude sur le cyclamate de soude en 1968, concluant au caractère néfaste de l’édulcorant.

 

   Les différentes interdictions frappant certains édulcorants de synthèse sont des victoires pour l’industrie sucrière, qui d’ailleurs, dès le début des années 1980, s’inquiétant de la montée de consommation de ces édulcorants, commande un rapport très complet visant à définir dans quelle mesure l’industrie sucrière pourrait se reconvertir et dans quels produits. De même, ces interdictions sont la démonstration d’un malaise plus profond, une lutte entre le naturel et le synthétique. Le fait que l’on puisse reproduire des substances existant dans la nature en laboratoire n’entre pas en ligne de compte, au même titre que le fait qu’au XXe siècle, le processus d’extraction du sucre soit un processus industriel très lourd. L’important, dans les mentalités, réside dans l’idée du naturel opposée à l’artificiel. Ainsi, à partir des années 1980, époque à laquelle les édulcorants naturels et chimiques coexistent sur le marché, le renvoi à la naturalité du sucre reste le fer de lance de la communication du lobby sucrier.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Sucre - Lobby  -Outremangeurs Anonymes - Naturisme

 

Amandine Dandel - Le Mans Université - TEMOS CNRS 9016

Références :

Amandine Dandel, « La représentation des femmes dans la société française à travers les publications du Cédus (années 1960-1980) », Histoire, médecine et santé, 17 | 2021, 73-85.

Claude Fischler, L’Homnivore, Odile Jacob, 2001.

 

Pour citer cet article : Amandine Dandel, "Édulcorants de synthèse", dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.



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