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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Estomac

La connaissance de l’interconnexion entre l’estomac et la psyché a une histoire bien plus longue que ce que les scientifiques acceptent généralement d’admettre. Frontispice des "Mémoires d'un estomac" par le Ministre de l'Intérieur - Sydney Whiting, 1853.

   La connaissance de l’interconnexion entre l’estomac et la psyché a une histoire bien plus longue que ce que les scientifiques acceptent généralement d’admettre. 

 

   Au cours des dernières décennies, les microbiologistes ont avancé des hypothèses sur la manière dont les bactéries intestinales (connues sous le nom de microbiome) influencent le bien-être émotionnel. L’axe intestin-cerveau est maintenant un sujet qui suscite un grand intérêt. Toutefois, la compréhension de cette interconnexion entre estomac et esprit a une antériorité historique bien plus lointaine que ce que les scientifiques acceptent généralement d’admettre. En effet, jusqu’au XIXe siècle, la plupart des médecins prenaient pour acquis les liens entre estomac, esprit et émotions jusqu’à ce que la médecine réductionniste ne limite leur centre d’étude. Toutefois, les perceptions de l’estomac comme étant une zone corporelle isolée, d’apparence déconnectée du reste du corps, se sont avérées insatisfaisantes sur le plan clinique et pratique. 

 

   Au début du XIXe siècle, les médecins les plus éminents (tels que John Hunter, James Johnson, John Abernethy) considéraient l’estomac comme étant “le second cerveau” ou “le grand centre nerveux.” Ils pensaient que l’estomac était l’organe le plus important du corps étant donné sa forte influence sur la santé physique et émotionnelle. Ensuite, ce sont les nerfs de l’estomac, et non plus ses bactéries, qui ont attiré l’attention des médecins. 

 

   Les Victoriens ont produit quantité de livres sur l’estomac. Peut-être le plus intrigant étant Les Mémoires d’un Estomac, publié en 1853 par un auteur obscure nommé Sydney Whiting. Le livre s’est révélé être extrêmement populaire, plusieurs éditions ont été publiées et il a même été traduit en français. Tout ceci en dépit du fait que le narrateur est un estomac qui sait lire et écrire de façon remarquable, qui s’appelle M. Estomac et qui détaille de long en large la misère de sa longue vie. 

 

   La santé de l’estomac était fondamentalement politique. Les médecins croyaient que la Grande-Bretagne souffrait à échelle nationale de dyspepsie paralysante, en partie due au stress et à la pression de l’industrialisation. Beaucoup craignaient que si la santé intestinale des communautés était composée de dyspepsie et d’excitation nerveuse causées par, disons, un excès de consommation de thé, une révolution puisse s’ensuivre. Alors que le cœur était associé à l’amour, l’estomac était associé à des émotions morbides et menaçantes. Les populations, ainsi que les individus, avaient besoin d’être bien nourries pour assurer l’harmonie socio-politique. 

 

   Les modèles holistiques de l’axe intestin-cerveau se sont vus menacés par les tendances réductionnistes de la médecine occidentale. En 1828, le médecin écossais John Abercrombie a publié le premier livre sur l’estomac fondé sur une étude anatomique. Il a développé une connaissance complexe de l’estomac non pas comme un tout cohérent, mais comme un organe constitué de différentes sections, parties et zones, chacune ayant leurs propres problèmes physiques tels que les ulcères gastriques ou duodénaux. Avec ce localisme, la relation générale de l’organe avec le corps commence à être oubliée. Les physiologistes de la fin de siècle ont étudié l’estomac en se penchant sur ses composants chimiques et ses fonctions. Des chirurgiens éminents tel que Berkeley Moynihan ont développé des procédures pour exciser des ulcères et tumeurs de l’abdomen. Les deux groupes professionnels ont préconisé des approches réductionnistes qui ont négligé les relations entre corps et émotions. 

 

   Le développement de la psychologie au début du XXe siècle a encouragé les praticiens (tels que Walter Cannon, Walter C. Alvarez and Franz Alexander) à revisiter les idées concernant les racines psychiques des troubles gastriques et, vice versa, les origines physiques des troubles psychiques. Graduellement, les physiologistes et les psychologistes en sont venus à croire que les ulcères de l’estomac avaient un lien avec le stress, remettant au goût du jour les modèles holistiques sur l’axe intestin-cerveau à la lumière des circonstances socio-politiques du XXe siècle.

 

   Pendant la Seconde Guerre mondiale, les apparents hauts taux de perforation d’ulcères de l’estomac sur les plages de Dunkerque et pendant les raids aériens de Londres semblent offrir des preuves irréfutables de la corrélation entre stress, estomac et esprit. La découverte des causes bactériennes de l’ulcère gastro-duodénal dans les années 1980 a de nouveau menacé de réduire la prise en charge de l’estomac au traitement antibiotique. Mais la connaissance du microbiome a conduit le pendule à revenir vers une appréciation holistique plus complète des connexions internes du corps. 

 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Obésité - Outremangeurs Anonymes - Végétarisme

 

Lire la notice en anglais : Stomach



Ian Miller – Ulster University

Références : 

Ian Miller, A Modern History of the Stomach: Gastric Illness, Medicine and British Society, 1800-1950, Bloomsbury, 2011.

Ian Miller, ‘The Gut-Brain Axis and the Microbiome: A Medical History Perspective’, Microbial Ecology in Health and Disease, volume 29, issue 1, 2018.

 

Pour citer cet article : Ian Miller, "Estomac" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.

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