Le 21 février 2018 se tient à la Manufacture des Tabacs à Nantes, dans le cadre des Etats généraux de la Bioéthique, le 5e débat citoyen de l’EREPL : "L'Assistance Médicale à la Procréation (A.M.P.) pour tou·te·s?Les citoyens ont été appelés à prendre la parole sur les enjeux bioéthiques, ce dont témoignent les débats organisés par l’EREPL en 2018.
Depuis la loi du 6 août 2004, les lois de bioéthique en France doivent être réexaminées dans un délai de cinq ans. Prévu initialement pour répondre aux enjeux posés par l’évolution rapide des techniques dans le domaine de la santé, ce réexamen s’accompagne, depuis 10 ans, de la recherche d’une participation citoyenne sur les questions de bioéthique. Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) est chargé, depuis la loi de 2011, d’organiser et d’impulser un débat public préalable à la révision des futures lois. Dès 2017, le CCNE pilote les «Etats généraux» de la bioéthique en s’appuyant sur les Espaces de Réflexion Éthique Régionaux (ERER).
C’est dans ce contexte que l’Espace de Réflexion Ethique des Pays-de-Loire (EREPL) a été missionné pour mettre en place dix manifestations dans l’ensemble de la région. Réunissant près de mille participants entre décembre 2017 et mai 2018, ces assemblées ont porté sur deux thématiques : les conditions d’accès à l’Assistance médicale à la procréation (AMP) en France et la place des citoyens vulnérables dans la médecine de demain. Les méthodes et les thèmes abordés sont choisis de manière décentralisée par chaque Espace régional qui peut décider de réserver certaines rencontres à des publics spécifiques (lycéens, étudiants).
Lors des débats-citoyens portant sur les conditions d’accès à l’Assistance médicale à la procréation, les tensions entre les participants sont palpables et les échanges parfois « musclés ». Les positionnements des « anti » et des « pro » ouverture de l’accès de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes sont souvent tranchés et témoignent de clivages idéologiques difficilement réconciliables. Du côté des personnes opposées à cette ouverture de l’AMP, les menaces contre « l’intérêt de l’enfant » sont mises en avant. Des participants défendent l’idée que la procréation humaine devait suivre un « ordre naturel immuable » qui ne devrait pas être altéré par une logique technique. L’AMP consisterait en un ensemble de « manipulations », voire d’ « outrages », qui contreviendrait au respect de la vie. Les risques de marchandisation autour de la procréation sont également souvent évoqués. Beaucoup d’arguments se concentrent sur les angoisses que représenterait une procréation « sans père ».
Pour les personnes favorables à l’ouverture de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, l’égalité des droits et le refus des discriminations sont mis en avant. Des participants défendent la nécessité de reconnaître les nouveaux modèles familiaux. Des témoignages évoquent les enfants éduqués par des mères célibataires ou par des couples homosexuels comme des « citoyens heureux. ». L’absence de critères légitimes pour juger le désir d’enfant des femmes célibataires et des couples homosexuels est mise en avant. D’autres questions sont soulevées par les participants sur le droit à connaître ses origines, l’autoconservation des ovocytes, la gestation pour autrui (GPA). Des questionnements plus généraux sur la médecine de demain sont donc abordés dans les débats citoyens : le développement technique dans le soin risque-t-il d’altérer la relation de soin ? Les progrès techniques au service de la santé connectée permettent-ils vraiment de pallier l’inégalité d’accès aux soins ?
Fin avril-début mai 2018, l’ensemble des ERER rédigent une synthèse de l’ensemble des débats pour alimenter la synthèse du CCNE publiée en juin 2018. Le projet de loi relatif à la bioéthique est présenté en Conseil des ministres, le 24 juillet 2019, et adopté le 15 octobre 2019.
Quel bilan tirer de cette expérience nouvelle de démocratie sanitaire ? La première difficulté tient à l’hétérogénéité des savoirs détenus par les débatteurs. Les pratiques cliniques ou les techniques médicales discutées par les citoyens n’étaient pas toujours bien connues de ceux-là même qui les défendaient ou les fustigeaient. Pour les organisateurs du débat public, l’équilibre à trouver peut s’avérer complexe : comment garantir une neutralité dans les débats tout en apportant une base de connaissances scientifiques et cliniques commune, parfois complexe à appréhender ? Comment informer le plus objectivement possible des pratiques et des techniques sans biaiser l’expression vive d’une parole citoyenne ? La seconde difficulté tient aux attentes des citoyens. Durant les débats, les participants mobilisés ont exprimé leur besoin d’être écoutés et leurs inquiétudes face à une possible absence de prise en compte de leurs arguments dans l’écriture de la loi. La dimension revendicative laisse parfois peu de place à un échange constructif qui permettrait la formulation de propositions concrètes. Peut-être un débat citoyen permanent, à distance d’enjeux législatifs, pourrait-il produire des échanges plus apaisés et constructifs ?
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Démocratie sanitaire- Transhumanisme - Associations de patients
Références :
Rapport de synthèse de l'EREPL
Pour citer cet article : Aurélien Dutier, "Etats généraux de bioéthique", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.