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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Onanisme

Longtemps, la sexualité devait répondre aux exigences de procréation et non à l’appel du désir, désignant l’onanisme comme un péché mortel.Corset anti-onanisme tiré du livre de Guillaume Jalade-Lafont, "Considérations sur la confection de corsets et des ceintures propres à s'opposer à la pernicieuse habitude de l'onanisme", 1819.

   Longtemps, la sexualité devait répondre aux exigences de procréation et non à l’appel du désir, désignant l’onanisme comme un péché mortel.

 

    Durant les XVIIe et  XVIIIe siècle, la pratique de l’onanisme est associée à celle de la masturbation. C’est au XIXe siècle que ces deux termes sont différenciés. Alors que le premier désigne une jouissance obtenue par un coït interrompu, le second comprend plus simplement l’excitation par une action manuelle sur son sexe (manustupration, « action de souiller avec la main »). 

 

    Le terme d’onanisme prend son origine à travers la Bible. Cette dernière évoque le crime d’Onan, un homme qui refusa de féconder la veuve de son frère et préféra « répandre sa semence sur la terre » plutôt que d’offrir une descendance à son frère. Ainsi, Onan effectua le coït interrompu, donnant son nom à cette pratique, et fut puni de mort par Dieu. L’Église du XVIIe siècle confond l’acte d’Onan avec la masturbation et associe celle-ci à la stérilité. Cette connotation négative est accentuée par les évêques et les abbés qui sanctionnent sévèrement le libertinage solitaire des clercs le désignant comme une « pollution nocturne ».

 

    Au XVIIIe siècle, la lutte contre la masturbation prend un nouveau tournant avec la campagne anti-masturbatoire de Simon Auguste Tissot, dans  L'Onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation publié en 1760 à partir de la traduction du Tentamen de morbis ex manustupratione ; puis Balthazar Bekker, avec Onania en 1710. Ces deux médecins européens perçoivent l’onanisme comme un tabou sexuel qui dégrade les conditions de vie. Leurs deux ouvrages sont traduits et largement diffusés dans l’Europe, offrant plusieurs remèdes, accessibles à tous, et faisant entrer le terme d’« Onanisme » dans l’Encyclopédie de Diderot. Plusieurs grandes figures de l’époque des Lumières félicitent Tissot et Bekker, dont Rousseau et Voltaire, ce dernier définissant ces ouvrages comme des « services rendus au genre humain ».

 

À la fin du XVIIIe siècle survient une vague de répression sexuelle qui modifie les pratiques sexuelles jusque dans le XXe siècle. C’est durant cette dernière époque que le neurologue Sigmund Freud théorise la névrose d’angoisse, état qui reprend tous les maux que Tissot et Bekker attribuent à la masturbation : dans un premier temps, affaiblissement des facultés intellectuelles (troubles de la mémoire, démence, angoisses continuelles, hystérie, vertiges,…), affaiblissement des forces physiques (arrêt de la croissance, fatigues, palpitations, suffocations, défaillances, toux, fièvres,…), douleurs touchant la tête, la poitrine, l’estomac, les articulations, les intestins et des engourdissements fréquents. Dans un second temps apparaissent des impuretés physiques (boutons, pustules, démangeaisons,…), des faiblesses sexuelles (perte d’érection, émissions de sperme facile, écoulement continuel d’une mucosité, affaiblissement du jet, tumeurs des testicules, impuissance masculine et stérilité) et enfin, des troubles intestinaux (constipation, hémorroïdes, diarrhées, émissions de glaires par l’anus).

 

    Ces travaux à l’encontre de la masturbation s’adressent particulièrement aux parents dont les jeunes gens sont atteints par cette pratique. Émergent alors un grand nombre d’outils ainsi que des protocoles de prévention contre ce « mal ».  Les médecins préconisent tout d’abord la discussion et l’aveu, en faisant prendre en compte la punition divine qui attend les « délinquants du sexe ». Puis, une fois cette étape passée, les patients se voient prescrire des potions, onguents, calmants, narcotiques et règles d’hygiénisme  (bains froids avec de la limaille, éviter les longs séjours dans le lit, ainsi que l’inaction, les pantalons trop serrés et les ouvrages licencieux). S’en suit un panel d’inventions afin d’empêcher les jeunes de se toucher et « sauver leur santé ». Parmi celles-ci, on comprend des systèmes protecteurs (sorte de corset pour le pénis), des sangsues placées sur la région génitale, les gants cloutés, les poignets de force, la camisole de force. Certains médecins présentent des solutions extrêmes pour les « récidivistes » avec la chirurgie, l’exérèse et l’ablation.

 

    En réponse à ces restrictions, les « masturbateurs » inventèrent plusieurs accessoires érotiques afin d’accentuer ou accélérer le plaisir. Parmi eux, les « masturbateuses » (mains à manœuvrer dans lesquelles on jouit par frottements), l’étau à gland aussi appelé « les tenailles du sphinx » (étau recouvert de velours utilisé pour presser de droite à gauche le gland afin de créer des spasmes éjaculatoires au moment de l’orgasme), la « gueule de Sara » (une tête de lionne empaillée) et « la vespasienne de la Comtesse » (« récipient » recueillant la semence après une masturbation à plusieurs).

 

    C’est au XXe siècle qu’émergent l’âge de la masturbation « bienfaisante », avec des sexologues tels que Iwan Bloch, Auguste Forel ou encore Wilhelm Stekel qui l’estiment comme une pratique normale, sans caractère dangereux. Il faut tout de même attendre encore quelques années pour que la masturbation soit une pratique acceptée dans la société.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Sexologie - Orgasme féminin- Lesbianisme

Colombe Doiteau - Le Mans Université

Références :

Georges Androutsos, “De l’onanisme à la masturbation. Une note historique”, Andrologie, 15, 2005, p. 71–79. 

Janine Mossuz-Lavau, Dictionnaire des sexualités, Robert Laffont, 2014.

Pour citer cet article : Colombe Doiteau, "Onanisme", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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