“Jacqueline Foroni rendue à son véritable sexe, ou rapport, réflexions et jugement... sur le sexe d'un individu vivant” par la Classe de Médecine, Milan, (1802).
Aujourd’hui dans plusieurs langues, dont le français, le mot « sexe » est polysémique et recouvre trois significations. Dans le Dictionnaire de l’Académie on peut lire : « Caractère d’un être vivant qui détermine s’il produit des gamètes mâles ou femelles et s’accompagne, chez la plupart des espèces, de particularités morphologiques et fonctionnelles et de comportements spécifiques », mais aussi « Organe génital externe » ou encore : « Ce qui est relatif à l’activité et au plaisir sexuels, sexualité ». Aujourd’hui donc le mot, malgré sa polysémie, fige le sexe des humains dans le corps : d’un coté par le biais de la biologie, de l’autre par celui de la distinction anatomique de deux organes génitaux.
Cette représentation du sexe est tellement rigide que pour la nuancer nous avons besoin d’un autre mot, celui de « genre », qui fluidifie, du côté social, la question de l’identité humaine. Cette répartition entre sexe et genre, qui varie par ailleurs selon les disciplines, reste ambiguë et problématique. Elle a cependant l’allure d’une révolution récente : comme si à partir des années 1950, la médecine, l’anthropologie et la philosophie d’abord, avaient découvert le caractère social, culturel, politique et économique du « sexe ».
Cependant à la lumière de l’histoire de la médecine les choses sont plus complexes, même en restant simplement dans une histoire des mots. En effet cette manière de penser et de représenter le sexe dans la langue – ici française – s’est établie seulement dans la première moitié du XXe siècle. C'est-à-dire, que le sens qu’on lui accorde aujourd’hui est plutôt récent.
Durant une très longue période, la définition du mot sexe a muté sans cesse. Si on regarde dans le premier dictionnaire de la langue française, voulu par l’Académie française et publié en 1694, on peut lire à l’entrée sexe : « ce qui fait la différence du mâle et de la femelle parmi les animaux ». Le sexe arrive donc dans l’institutionnalisation de la langue française comme une propriété ontologique, pour souligner la différence entre mâle et femelle chez les animaux. Entre 1694 et 1762 sont publiées la deuxième et la troisième édition du dictionnaire, mais la signification du mot ne change pas. En revanche, dans l’édition de 1762, sa définition subit une variation allant du côté de l’universalité de la différence des sexes, puisque il ne s’agit plus des animaux : « Ce qui fait la différence du mâle & de la femelle. Sexe masculin, féminin ». C’est peu après, en 1798, dans la cinquième édition du dictionnaire, qu’il se produit une nouvelle transformation, importante : « Différence physique et constitutive du mâle et de la femelle, sexe masculin féminin. Il se trouve des animaux qui ont les deux sexes. En parlant des hommes on les distingue en deux classes qu’on appelle les deux sexes ».
Apparaît donc à la fin du XVIIIe siècle, un nouvel élément : la différence devient physique et constitutive et on sépare les humains en deux classes, selon le sexe. Les différentes éditions du dictionnaire de la langue française nous permettent ainsi de saisir les transformations qui sont à l’œuvre dans la circulation des savoirs. Elles suivent, en décalage, l’influence des sciences dans la construction des connaissances sur le sexe. On saisit facilement dans ces mutations l’influence de plus en plus importante des sciences naturelles et médicales. C’est en effet à la fin du XVIIIe siècle que les hommes de sciences commencent à établir une hiérarchie du vivant, d’abord du monde végétal et puis du monde animal, en le classant aussi selon le sexe. Il faut donc retenir qu’une première transformation essentielle dans la définition du sexe s’opère dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, puisque en effet dans les éditions successives de 1835 et de 1878 le sens du mot reste identique.
L’édition de 1935, la huitième, signale une autre importante transformation. On lit la définition suivante : « Caractère organique qui distingue l’un de l’autre le mâle et la femelle. Sexe masculin, féminin ». La définition contemporaine de sexe s’établit et se fige au cours du XXe siècle. C’est précisément cette construction contemporaine de la notion de sexe - autour de l’organique - voir du biologique, et son immutabilité, qui va amener à un moment donné à une impasse et créer la nécessité de trouver d’autres notions signifiantes. Ce sont notamment les sciences « psy » qui vont être actrices de ce mouvement d’idées à l’intérieur de la médecine. D’abord au XIXe siècle avec l’aliénisme et l’interrogation autour de la sexualité et de ses « déviances », ensuite la psychiatrie et la médecine autour des personnes intersexes. C’est donc dans le registre de ce que les médecines considèrent comme étant pathologique qu’on cherche une solution épistémologique : il faut en effet rappeler que c’est autour des expérimentations chirurgicales des personnes intersexes et trans durant les années 1950-1960 que la notion de genre est née en médecine.
Poursuivre la lecture sur le dictionnaire : Folles de maternité - 9e épisode de La Piqûre de rappel - Folie puerpérale - Fièvre puerpérale - Allaitement - Clitoris
Référence :
Francesca ARENA, Silvia CHILETTI, Jean-Christophe COFFIN, “Psychiatrie, genre et sexualités dans la seconde moitié du XXe siècle.”, Comment S'en Sortir ?, 2015, vol. 2, p. 59-75.
Pour citer cet article : Francesca Arena, “Sexe”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.